lundi 11 mars 2024

CHANGER NOTRE REGARD SUR LE MONDE AVEC LES POETES

Le monde nous déçoit. Il ne nous convient pas. Nous a-t-il jamais convenu ? Nous sommes d’éternels insatisfaits. Et si le problème était ailleurs ? Car comme l’écrivait Jacques Bainville « tout a toujours très mal marché ».

Une piste est proposée par Rainer Maria Rilke : « Si le monde ne te convient pas, pense à changer ton regard sur le monde. » Quel est notre regard sur le monde ?


Notre regard passe de plus en plus souvent par la cellule et l’écran de notre iPhone.

Nous ne posons plus notre regard sur les choses et sur les êtres à travers le prisme de notre intériorité. Exit la singularité, la relation ontologique.

Conséquences : Emiettement du monde. Parcellisation. Communautarisation. Enfermement. Egotisme. Insatisfaction.

Nous manquons d'inspiration pour combattre ce fléau et ses conséquences.

Sylvain Tesson à qui je dois de m’avoir remémoré cette citation de Rainer Maria Rilke expliquait hier soir https://www.cnews.fr/emission/2024-03-09/face-bock-cote-emission-du-09032024-1465749 en évoquant son dernier livre dont je vous recommande la lecture rafraichissante, 

que le poète comprend les choses et les êtres sans avoir besoin des sciences. Comment ? Grâce à sa fraicheur, sa rapidité d’esprit comme d’écriture et son intuition.

Le poète porte un regard qui pénètre l’intelligence du monde comme un laser. Génie des mots ? Génie de la métrique ? D’abord génie de la vie et de son observation pour chanter ce qu’il ressent au moyen de la langue et de la métrique. Génie de la transfiguration. Génie du raccourci. Génie de la fulgurance. C’est ainsi que Tesson est un poète sans pour autant écrire de vers…

Peut-on expliquer cela ? Non. Pas plus que l’on ne peut expliquer les mystères de l’être et du divin. Mystère de la poésie. Mystère de l’homme. Mystère de la transcendance ? Il faut se plonger dans leur univers; tout simplement. Y reprendre goût.

Sylvain Tesson nous invite indirectement à relire les poètes. Gustave Thibon se plaisait à rappeler que son père, paysan, ne passait pas une journée sans avoir lu et sans avoir récité des vers. Lui-même en connaissait des milliers par cœur.

Nous n’avons plus de poètes. Nous ne lisons plus de poésie. Nous n’apprenons plus de vers.

Y a -t-il un lien avec la pauvreté de notre regard ? La poésie nous manque-t-elle ?

L’être, celui des vivants, mais aussi celui de la nature, est au cœur de la poésie. C’est son sujet, son inspiration, sa méditation.

Notre regard n’a de sens que parce qu’il est celui d’un être sur le monde. Rencontre des êtres et de la nature, dans la nature.

Tout y est lié, autour de l’être, celui qui crée et celui qui lit et qui récite.

La poésie semble avoir toujours été. Elle remonte à la nuit des temps. Elle est dans la Bible dans les psaumes et le cantique des cantiques pour ne citer qu’eux. L’Illiade et l’Odyssée qui ont été composés il y a plus de 2 000 ans ont nourri toutes les générations depuis leur création. Ils nous ont été transmis oralement. La poésie se diffuse sans autre support que les hommes et leur mémoire. Elle a rythmé toutes les époques de Virgile à Brassens en passant par les troubadours, Ronsard, Racine, Hugo, Baudelaire, Péguy ou Ponchon (pardon à tous ceux que je n’ai pas cités). A chaque vers elle nous dit quelque chose de nous-même et du monde. Elle innerve la vie commune. 

Elle est fille des rues. Elle s’embarque sur une guitare. Elle se dit ou se chante, portée par sa propre musique ou par celle qui l’accompagne.

Fraicheur, rapidité, fulgurance, intuition. Comme notre regard.

La citation de Rilke s’oppose à celle de Yasmina Khadra romancière non sans talent mais qui fidèle à l’esprit du siècle proclame dans ce que le jour doit à la nuit « si le monde ne te convient pas réinventes en toi un autre, et ne laisse aucun chagrin te faire descendre de ton nuage ». Egotisme autocentré. Inventer un autre monde revient à fuir le monde, à lui tourner le dos ; chacun derrière son écran.

En fait Rilke et Tesson rejoignent Ste Térésa de Calcutta que j’ai souvent citée : « Mère Teresa, qu’est-ce qui doit changer dans le monde ? » lui demande un journaliste. Réponse de la sainte : « Vous et moi ». Profond et vrai. Réaliste. Responsable. Courageux. Fulgurant.

Si le monde ne nous convient pas, et c’est le cas, commençons donc par nous changer et par transformer notre regard. Pour cela appelons les poètes à notre aide afin de mener cette action simple mais essentielle dont procède le réenchantement du monde et dont ils ont le secret. 

Ainsi pourra triompher un autre état d’esprit nourri d’espérance et porteur d’un réalisme fécond !

« Poète, prends ton luth et me donne un baiser ;

La fleur de l’églantier sent ses bourgeons éclore,

Le printemps naît ce soir ; les vents vont s’embraser ;

Et la bergeronnette, en attendant l’aurore,

Aux premiers buissons verts commence à se poser.

Poète, prends ton luth, et me donne un baiser ».

(La nuit de mai d’Alfred de Musset)

 

 

 

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