Entre mensonge et faux-semblants nous sommes comparables à des pèlerins perdus dans un marécage envahi par un épais brouillard.
Marécage des incertitudes.
Brouillard des paradoxes.
Dialectique du faux-vrai et du vrai-faux.
Seules les images, les slogans, les revendications
identitaires ou communautaires ont de l'écho, sur fond de manipulation.
Nous nous enfonçons dans les épaisseurs de la purée de pois.
Errons-nous au gré de nos pulsions et de nos revendications ? Cherchons-nous des
références ? Des modèles ? Des guides ?
Si nous voulons retrouver notre chemin il n'est pas sans intérêt de se remémorer la figure de vérité de Simone Weil.
Jusqu’auboutiste dans la recherche d’une cohérence entre
ses idées et sa vie, sans doute peut-elle sembler folle aux yeux des hommes modernes
; mais son élan irrépressible était la traduction en actes de ce qui
caractérisa toute sa vie.
Notre relativisme généralisé lui était insupportable; il lui était ontologiquement
inenvisageable.
On dit d’ailleurs qu’adolescente elle traversa une
période de dépression en raison de sa hantise de ne pas parvenir à atteindre la
vérité. Nos préoccupations sont à des années-lumière de cette angoisse existentielle. Je pense encore aux récentes circonlocutions raphaëloises
du philosophe Roger-Pol Droit autour de cette notion de « la vérité », comme si elle lui brulait
la langue. Nous ne cessons de nous laver les mains avec Pilate répondant au Christ
: « Qu'est-ce que la vérité ? ».
Tous ceux qui eurent le privilège de croiser Simone Weil évoquèrent
« la puissance d’envoûtement que lui conféraient ses raisonnements
impitoyables », comme l’a noté Simone Piètrement ; « ce regard dénudant,
déchirant, lui-même déchiré, qui happait et laissait démuni celui qui le
subissait, transporté qu’il était malgré lui dans le domaine de l’être »,
comme s’en souviendra Jean Tortel. (Revue des deux mondes, Octobre 2023).
« Désirer la vérité, c’est désirer un contact avec la
réalité » écrira-t-elle.
Pénétrer le réel de tout son être, pour le comprendre, l’épouser,
le faire sien et travailler à l’humaniser.
C’est ainsi qu’elle soutint la classe ouvrière en
travaillant à la chaine, qu’elle voulut être ouvrière agricole, ou encore qu’elle
s’engagea pour combattre pendant la guerre d’Espagne, et qu’elle eut le projet
de se faire parachuter sur les lignes ennemies pendant la résistance, avant de mourir mystérieusement unie aux victimes de la guerre. «
Cette femme-là est complètement folle ! », s’exclama le général de Gaulle
! Folie aux yeux des hommes de cette philosophe de l’extrême. Singulière
figure !
Conscient de ses exceptionnelles qualités le Général de Gaulle lui confia la rédaction d’un texte fondateur pour notre nouvelle Constitution. Ce sera L’Enracinement, dont le prologue entend répondre aux besoins de l’âme et les restaurer – son grand œuvre. Il ne laissa malheureusement aucune trace dans la future constitution. Il faut pourtant faire un parallèle entre « l’enracinement » et l’évolution de notre constitution depuis un demi-siècle. Quel grand écart !
Quel fut le sens de la démarche de la philosophe ? Quelles
leçons pouvons-nous en tirer ?
Le sous-titre de ce livre majeur est « Prélude à une déclaration des devoirs envers l'être humain ».
Un total renversement de paradigme comme diraient
nos analystes politiques à la mode !
Lisons le début de cet ouvrage fondateur :
« La notion d'obligation prime celle de
droit, qui lui est subordonnée et relative. Un droit n'est pas efficace par
lui-même, mais seulement par l'obligation à laquelle il correspond ;
l'accomplissement effectif d'un droit provient non pas de celui qui le possède,
mais des autres hommes qui se reconnaissent obligés à quelque chose envers lui.
[...] Cela n'a pas de sens de dire que les hommes ont, d'une part des droits,
d'autre part des devoirs. Ces mots n'expriment que des différences de points de
vue. Leur relation est celle de l'objet et du sujet. Un homme, considéré en
lui-même, a seulement des devoirs, parmi lesquels se trouvent certains
devoirs envers lui-même. Les autres considérés de son point de vue, ont
seulement des droits. Il a des droits à son tour quand il est considéré du
point de vue des autres, qui se reconnaissent des obligations envers lui. Un homme qui serait seul dans l'univers n'aurait aucun droit, mais il aurait
des obligations. »
Tout découle de cette redéfinition. Essentielle !
Bien que Simone Weil soit de plus en plus reconnue à sa juste valeur, le paradoxe est que son discours « n’imprime pas ». Son exigence, sa sagesse, sa quête de vérité, sa soif d’absolu n’ont pas d’influence, pas d’écho dans l’opinion ni chez nos dirigeants. Comme si bien qu’admirée elle ne pouvait servir à rien. Admirée de loin, de manière artificielle… Anachronique, dépassée, obsolète. Le progrès inexorable est passé par là. Vraie pour hier mais pas pour aujourd’hui. Belle et inutile!
Et pourtant son diagnostic est gravé dans le marbre de la
vérité.
Qui peut avoir à redire sur sa définition des droits et
des obligations ? Comment ne pas admettre la cohérence intellectuelle,
philosophique, ontologique de ses définitions ?
Mais seule l’opinion publique « imprime » avec
son cortège de revendications de droits déconnectés de toute obligation. La vox
populi est seule juge et plus personne ne cherche à lui donner le goût des
idées et de la vérité.
Les anciens du barreau demandaient que l’opinion publique
soit chassée des prétoires. A juste titre. Il faudrait la chasser du
Parlement. Le vote de la loi, l'action la plus essentielle parce que fondatrice
et structurante de la vie politique, devrait en être affranchie.
Si tel était le cas, si l’œuvre de Simone Weil avait trouvé un écho, le Parlement n'aurait pas pu se livrer à cette terrible mascarade de la
constitutionnalisation du droit d’avorter. « Un droit n'est pas efficace par
lui-même, mais seulement par l'obligation à laquelle il correspond » !...
Où est l’obligation justifiant ce droit érigé au rang de principe
constitutionnel ? Et il en irait ainsi de nombre des revendications qui
structurent l’activité législative de nos démocraties dont Simone Weil estimait que le bon fonctionnement était mis en péril par les partis politiques.
Simone Weil nous a légué une exigence absolue, une
exigence de cohérence entre l’idée et le réel, là où se niche la vérité. Cette exigence est insupportable à l’homme moderne, lui qui refuse que quoi que
ce soit s’impose à lui, dans tous les domaines, jusque dans la religion, en
passant par l’art.
Et si la cause de nos maux était là? Dans ce nœud, qui a
hanté notre philosophe au point qu’elle agit sans s’arrêter à sa propre vie,
comme si elle avait ressenti de manière prémonitoire qu’il y avait une profonde
inadéquation entre ce que son être profond attendait et le monde tel qu’il
évoluait.
Simone Weil est un vrai guide de la refondation !
Pour refonder il faut définir et chercher du sens. Ecoutons-la
mais pas à la manière contemporaine c’est-à-dire pas de manière artificielle.
Pour de bon, comme disent les enfants avec leur innocente intelligence. En
vérité !
Semper idem!
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