dimanche 19 mai 2024

DE QUOI L'ARRACHAGE DE NOS VIGNES EST-IL LE SIGNE?

La France arrache ses vignes. Sur 750 000 hectares soit 1 million de moins que sous l’Ancien Régime, le gouvernement lance un programme d’arrachage de 100 000 hectares supplémentaires. Dans un papier émouvant publié dans les colonnes du Figaro Yves d’Amecourt tire la sonnette d’alarme. https://urlz.fr/qJFD. Il est vigneron. Il prêche donc pour sa paroisse. Sans doute. Mais pas que…


S’il en contient, le vin n’est pas que de l’alcool. A ce titre il a été, et est encore, au centre de la campagne antialcoolisme qui sévit en France et en Europe depuis bien des années.

Notre vigneron souligne le fait paradoxal que le vin a été la victime de cette campagne alors que l’alcoolisme perdure, comme la consommation de drogues et autres opiacés. Le vin est moins consommé que les alcools. – 30 % sur les vins rouges en 10 ans. La consommation de vin a été divisée par deux depuis la Loi Evin (1991). Nos viticulteurs s’inquiètent et en sont réduits à chercher les moyens de faire du vin sans alcool quand ils ne se résignent pas à l’arrachage que promeut dorénavant le gouvernement ! Terrible alternative à laquelle n’échappe que les grands crus et quelques appellations qui ont travaillé pour préserver leur identité.

Ceci est la démonstration supplémentaire de l’inefficacité de nos politiques publiques qui loupent leurs objectifs de manière systématique.

Une fois encore nous nous trompons de cible.

De quoi cette politique est-elle le signe ?

Le vin serait-il la victime expiatoire des ayatollahs de l’hygiénisme antialcoolique ?

J’aime les vignerons. Je travaille pour eux à la suite d’un choix professionnel fort qui m’a fait créer le cabinet VINOLEXhttps://www.vinolex.fr/. J’aime le vin, sa culture, son goût, son nez, son œnologie, ses hommes, ses domaines, ses vignes, sa complexité, son environnement, sa géographie, ses tonneaux, ses caves, son cérémonial, sa dégustation et … son ivresse. Sans réelle modération au sens de la loi. Par delà ces motivations personnelles, laissant de côté la dimension économique traitée dans l’article de d’Amecourt, je veux défendre le vin parce qu’il est un élément structurant de notre civilisation. Les effets de cette politique mal pensée et qui manque sa cible sont d’un autre ordre et touchent eux aussi cette civilisation si souvent attaquée à bien d’autres égards.

Avec le vin on touche le cœur.

Dans son excellent livre la mémoire du vin le général Marc Paitier raconte beaucoup de belles histoires nourrissant cette mémoire qu'il a voulu transmettre. Son dernier chapitre est particulièrement passionnant sous le titre : l'imaginaire du vin. La dégustation et l'art de parler du vin, objective et subjective, de ce vin qui délie la langue, qui vit, qui est le ferment de l'amitié, qui joue le rôle de lien dans la vie sociale. Mais aussi son ivresse qui ne consiste pas nécessairement à rouler par terre et à perdre conscience ; cette ivresse qui a été chantée de différentes manières tant par Charles Baudelaire que par Raoul Ponchon. Le général Paitier considère que le vin est une personne, qui joue sa partition dans l'amour, qui est un grand consolateur, qui lie les amis. Et enfin, il souligne le lien avec le sacré particulièrement pour les chrétiens, à l'inverse des musulmans. La Bible lui accorde une place de choix. Saint-Thomas-d’Aquin va jusqu'à écrire : « Il faut goûter le vin avec modération, mais sans cesse, parce que l'on atteint grâce à lui l'ivresse du sacré ». Notre ami Chesterton a ces mots extraordinaires : « Buvez, car le monde entier est aussi rouge que ce vin, rouge de l'éclat de l'amour et du courroux de Dieu. Buvez car les trompettes sonnent pour la bataille et je vous offre le coup de l'étrier. Buvez, ceci est mon sang, que j'ai versé pour vous’ Buvez car je sais d'où vous venez et pourquoi. Buvez, car je sais quand vous partirez et où vous irez ». Revenant à un registre moins élevé spirituellement, et encore…, comment ne pas citer le merveilleux poème de Raoul Ponchon qui mieux que personne, savait ce qu’ivresse voulait dire :  

 

LE VIN DE MON AMI

 

Ah ! sapristi ! le bon vin

D’où qu’il vînt,

Ami, que tu m’as fait boire !

Quand il viendrait du Brésil,

Je dis qu’il

Est digne du Saint Ciboire.

Est-il de belle couleur !

Quelle fleur

Lui peut être comparable !

Un rubis auprès de lui

N’est que nuit,

Tout parfum, que misérable.

Il est frais entre les dents,

Et dedans

La gorge il met de la joie,

De même qu’il rend au cœur

Sa vigueur,

Sans inquiéter le foie.

 Il n’est pas de ces vins fous.

Lesquels vous

Flanquent d’abord une tape.

Pacifique et naturel,

Il est tel,

Qu’il somnolait dans la grappe.

Ses éléments éthérés,

Par degrés,

Montent, par lente poussée,

Mais ne prennent pas d’assaut,

En sursaut

Le palais de la Pensée.

C’est un paisible et serein

Souverain,

Qui, dans sa cour enchantée,

Avance à pas de velours,

Si peu lourds

Qu’on ne s’en peut faire idée.

 Pourtant, à son pas discret,

On dirait

Que ses courtisans s’éveillent

Qui dormaient en l’attendant…

Dans l’instant

S’éveillent et s’émerveillent.

Et lentement, et petit

À petit,

Les rythmes, comme des pages,

Commencent à frétiller,

Babiller,

Et mènent de grands tapages.

Un rêve dans mon cerveau,

Tout nouveau,

Se lève comme une aurore,

Plus ingénu mille fois,

Qu’en les bois,

Une fleur qui vient d’éclore,

Et voici que mon esprit

S’attendrit

Sur nos misères humaines,

Et que je dis des méchants :

Pauvres gens !

Pitié pour ces phénomènes !

 

Alors pourquoi cet acharnement ?

La question mérite d’être posée. 

Pourquoi nous détourner de cette boisson qui a été chantée et magnifiée depuis que l’homme foule le mout de raisin ?

Notre époque n'aime pas la fantaisie ; elle lui préfère la rupture dialectique, le moralisme, la moraline et l’hygiénisme.

Elle ne sait pas faire confiance à l’homme. Elle veut tout prévoir, tout gouverner, tout réglementer. Le vin qui fait souffler le vent de l’imagination dans les profondeurs de l’être est incongru dans son univers orwellien.

Et surtout, elle n'aime plus la France dont elle a fait une abstraction républicaine et démocratique. Or, la France est le pays du vin même si elle n'est pas que cela. Citant Rabelais « Le vin est ce qu’il y a de plus civilisé au monde » Yves d’Amecourt a ce joli mot : « Le vin est la signature de la France ».

Cette politique est triste. Notre monde est affligeant, angoissant et navrant. Les femmes et les hommes qui continuent de céder à l’alcoolisme et à la drogue en sont le signe et le révélateur. Notre combat contre le vin témoigne de notre confusion et décidément de notre inaptitude à parler aux hommes. Nous ne savons plus répondre à la vraie question de toute civilisation « Que faut-il dire aux hommes ? ».

Gageons toutefois que nous saurons un jour voler au secours de nos viticulteurs et leur reconnaître la place qui leur revient en même temps qu’à leur nectar et à tous ceux qui l’ont chanté et exalté. Ce jour-là les vignerons sortiront leurs plus précieux flacons afin de célébrer les plantations de leurs nouvelles vignes et le peuple de France festoiera avec eux !

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Commentez cet article et choisissez "Nom/URL" ou Anonyme selon que vous souhaitez signer ou non votre commentaire.
Si vous choisissez de signer votre commentaire, choisissez Nom/URL. Seul le nom est un champ obligatoire.

Retrouvez mes anciens articles sur mon ancien blog