Secret ? Vous avez dit secret ?
L'actualité du conclave et de l'Eglise me donnent
l'occasion providentielle d'évoquer la question du secret qui comme vous le savez est le thème du livre
que je viens de publier.
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Prenons une image; l'Eglise catholique est une cathédrale de secrets.
On y trouve :
- Le secret du Saint-Office, la congrégation pour la doctrine de la foi.
- Le secret du conclave cadre de l’élection pontificale œuvre du Saint Esprit;
- Le secret pontifical qui recouvre l’ensemble des matières, des actes et des décisions jusqu’à l’élaboration des encycliques.
- Le secret des archives du Vatican.
- Le secret commun que tous les organismes de la curie sont tenus de garder sur leurs activités ; obligation renforcée par le serment prêté par tous les employés du Vatican ayant pour objet une promesse de fidélité dans le travail et d’observation du secret de son bureau.
- La réserve et la discrétion qui sont d’usage au Vatican et lui sont parfois reprochés même si dans le domaine diplomatique on ne peut que s’en louer et s’en féliciter, vu son efficacité. Les événements ayant marqué les obsèques du Pape François en sont l’illustration.
- Le secret de la confession ou « sigillum ».
- Le secret professionnel des clercs qui couvre tous leurs entretiens spirituels – secret reconnu par le droit français.
Même si s'agissant de l'Eglise l'humain et le divin sont intimement liés, il faut regrouper et dissocier :
- les secrets attachés au fonctionnement de l’institution dont celui du conclave fait partie;
- le secret de la confession et le secret professionnel des clercs.
Ces derniers - surtout le sigillum – sont liés à la nature mystique et surnaturelle de l’Eglise, au fait qu’elle est sacramentellement le lieu du dialogue entre les fidèles et Dieu vivant. Sans ce secret inviolable - le sceau d'où le nom de "sigillum" - les confidences faites par le pécheur à Dieu à travers le prêtre seraient impossibles et inenvisageables.
A une époque marquée par la recherche obsessionnelle de la transparence, l'exemple de l'Eglise, bien que marquée par ses taches et les marques de l'hommerie, m'est vite apparu comme une source édifiante de leçons. Elle incarne une conception du secret en lien avec la notion de personne - d’être de la personne. L’essence dissociée de l’expérience et la précédant. Car l’Eglise peut aussi être imaginée comme une cathédrale dressée pour abriter l’être au sein duquel veille l’âme.
Le secret n’a pas de sens si on le détache de l’être essentiel de l’homme. A ce titre sa notion se heurte à la conception philosophique moderne qui a
détruit la notion de cet être unique qui identifie la personne. La philosophie
moderne a réduit la personne à un étiquetage juridico-administratif individualiste et évolution, permettant
toutes les manipulations. Sartre est allé pour sa part jusqu’à renverser l’édifice
en affirmant que l’expérience précéderait l’essence.
Pour Kant « Tous les phénomènes comme
expérience sensible résident dans l’entendement ». Il nie que l’on
puisse avoir une connaissance de la chose en soi, de l’être en soi. Nos esprits
modernes sont inféodés à cette conception ; pour preuve le fait que cette
abstraction de l’être métaphysique nous est devenue aussi inhabituelle qu’inconcevable.
Tout est « phénomène ». Pierre Boutang, auteur
d’une très profonde ontologie du secret, qui critique et récuse cette réduction
et cet enfermement philosophique dans un réel déifié, invite à se débarrasser de
la confusion provoquée par le « phénomène » de Kant avec le retour en
grâce de la « chose », de « l’être ». Il fonde ainsi sa distinction entre l’être et
le paraître qu’il met au centre de son ontologie du secret. Un
« paraître » et un « être » qui ne sont dès lors plus bloqués
par le concept « cul de sac » du phénomène...mais délivrés par le
réel, par le retour au réel en paraphrasant le titre du livre de Gustave
Thibon. Un réel et une expérience par ailleurs rattachés à l’essence dont le
secret est comme l’instrument et le reflet.
Le secret est l’instrument de communication de l’être avec lui-même, avec le prochain et avec Dieu ;
Pierre Boutang le compare à un ustensile. Ustensile essentiel sans lequel l’être se perdrait
dans le réel. Un sorte de passe-partout permettant en particulier d'accéder au mystère.
Le conclave, revenons à notre actualité, illustre cette conception en la transposant au niveau de la vie institutionnelle de l’Eglise humaine et divine en même temps. Il est l'œuvre de l’Esprit Saint au cœur de la délibération collective et individuelle des cardinaux animés par leur exigence de discernement. Ce moment d’élection d’un pape, divinement inspiré, est couvert du manteau du secret parce qu'il est l’œuvre de cette mystérieuse collaboration de l’humain et du divin {l’Esprit Saint étant l’une des trois personnes divines qui ne font qu’Un}. Le secret efface l'empreinte de l'action humaine; il préserve et protège l'action de l'Esprit Saint.
Cet événement planétaire nous confronte à une alchimie qui nous dépasse. Il nous fournit l’occasion de nous en émerveiller et de conjurer le désenchantement provoqué par la modernité matérialiste. Plutôt que de spéculer vainement sur les "papabili", arrêtons-nous sur les secrets de cet événement, ce qu'ils recèlent, ce qu'ils couvrent. Apprécions ce moment unique où l'humanité entière est suspendue à une décision qui lui échappe et qui échappe même à ceux qui vont en être les acteurs! Méditons-le! Et pour les fidèles prions dans le secret de nos âmes!
Voilà qui nous montre à quel point le secret doit être préservé.
Secret ? Vous avez dit secret ?
Très intéressante et instructive analyse. Merci.
RépondreSupprimerTout à fait d’accord : présentation très juste du secret du conclave ! Merci
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