Notre époque est-elle si différente de celle de l'avant-guerre de 1914 durant laquelle Charles Péguy s'illustra avec sa plume déterminée, enracinée et convaincue ?
J’ai écrit la semaine dernière que Péguy témoigna pour toujours. En voici une illustration politique.
Charles Péguy évolua mais il ne renia jamais ses convictions, ses engagements, ses écrits, sa vie. Il fut cohérent !
Socialiste, il le resta dans le cœur mais sans céder à
l'idéologie. Sa détestation de l'argent resta constante ; nous y
reviendrons. Sa dénonciation de l'hypocrisie des classes dominantes, de leur
lâcheté comme de leur matérialisme n'a jamais varié.
Il n'hésita pas à s’opposer à Jaurès avec qui il avait
pourtant beaucoup partagé, allant jusqu'à l’accuser de traitrise. Charles Péguy et Jean Jaurès
s'étaient connus et appréciés à l’époque du combat dreyfusard ; ils partageaient
alors une vision socialiste et républicaine du monde. Péguy, jeune
intellectuel, a même publié Jaurès dans ses Cahiers de la Quinzaine. Mais Charles Péguy était sceptique envers le
parlementarisme et le compromis politique. Il se méfiait d’un socialisme qu’il
jugeait trop institutionnel et pas assez fidèle à sa "mystique", son
engagement moral et spirituel total. Il n'était pas un homme de compromis, là
où Jaurès souhaita concilier réalisme et idéal socialiste.
Il resta fidèle à leurs
intuitions communes qui avaient guidé Jaurès dans l’affirmation du lien entre
les pauvres et la patrie sur le thème : les pauvres n'ont que la patrie. « A celui qui n'a rien, la patrie est son seul bien. »
Péguy ira plus loin : « Les patries sont toujours défendues par les gueux, livrées par les riches » [Notre patrie, Les Cahiers de la Quinzaine, VII‑3, 1905]. Approfondissons :
« Les
patries sont toujours défendues par les gueux » : ceci renvoie à l'idée que ce sont les classes populaires,
les plus modestes, qui s'engagent réellement — militairement, physiquement ou
moralement — pour défendre la patrie : ce sont eux qui combattent dans les
tranchées, qui subissent les guerres et les sacrifices.
« livrées
par les riches » : Ici, Péguy dénonce les élites —
économiques, politiques, intellectuelles — accusées de trahir l’idéal national
par intérêt particulier ou calcul égoïste. Il suggère que ceux qui ont le
pouvoir et les moyens sont trop souvent prêts à vendre ou abandonner la patrie
pour préserver leurs privilèges ou leur confort.
Et c’est dans Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc notamment que Péguy médita sur ce thème de façon bouleversante. J'en ai retenu en substance que ce sont les pauvres gens qui sont fidèles, ce sont les pauvres gens qui souffrent, ce sont les pauvres gens qui meurent.
Cette réflexion de Péguy opposant le riche figure de la compromission aux gueux figures de l'héroïsme charnel restitue le tragique de sa vision de poète et résonne aujourd'hui avec une forme de renaissance des gueux dans la France des périphéries analysée par Jérôme Fourquet. L'écrivain Alexandre Jardin l’a bien compris.
Les clivages fondamentaux ont-ils changé en l'espace d'un
siècle ? Vraiment pas. Les divergences fondamentales qui sont en train d'animer
nombre de débats sociaux et politiques en France n’oppose-t-elle pas encore une
fois les riches et les pauvres ? Nos nouveaux riches et nos nouveaux
pauvres des périphéries ? Nous sentons confusément dans le désordre de notre société que la ligne de clivage fondamentale rejoint celle qui fut stigmatisée par Péguy.
Assurément les gueux d’aujourd’hui sont susceptibles d’incarner
la patrie délaissée par nos élites.
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