dimanche 19 mars 2017

SOMMES-NOUS CONDAMNES A LA PERFORMANCE?

Sommes-nous condamnés à la performance ?

Il n’est pas un domaine de la vie qui en soit affranchi. L’État; l’exemple de la justice est révélateur, les juges étant soumis aux exigences de la statistique et du rendement plutôt qu’à celle de la justice. Les collectivités territoriales, jusqu’à la plus petite des mairies. Les arts, la santé, l’écologie, notre vie quotidienne.

La pratique du sport, la pratique sexuelle, le développement de nos tissus relationnels. Nous sommes systématiquement condamnés à la performance, à être « au top ».

Tout doit être efficace, rentable. Plus rien n’échappe à la logique de la compétitivité. Être compétitif ou mourir ?

Mais ne faudrait-il pas mieux mourir que d’accepter cette logique de la performance qui nous pousse au-delà de nous-mêmes, contre nous-mêmes, contre les nôtres, contre notre destin ?

Cette alternative est-elle inévitable ?

Il y a plusieurs moteurs qui nous poussent dans la voie de la performance.

  • Celui de nos besoins. Des besoins qui sont créés, suscités, entretenus par la logique économique d’un système qui a besoin de la consommation pour continuer à fonctionner, à exister. Nous ne sommes plus dans une économie de la subsistance, mais dans une économie de la consommation. Nous consommons des objets dont nous n’avons pas toujours besoin, qui ne font pas nécessairement notre bonheur et n’y sont pas indispensables.

  • Le second moteur est celui de la technique. Une technique qui a pris le pouvoir, qui est devenue un tout hors duquel le système ne peut plus survivre. L’homme est dépossédé. Rien ne peut entrer en concurrence avec le choix technique. Jacques ELLUL l’a parfaitement décrit, il y a plus de 60 ans ; nous sommes engagés dans un processus d’auto accroissement de la technique.

  • Le troisième moteur, qui est le prolongement du second, est le numérique. Les nouvelles technologies jouent sur l’obsolescence technologique, l’obligation de changer nos matériels afin qu’ils soient compatibles avec les dernières nouveautés, et enfin sur l’obsolescence psychologique qui nous amène à toujours vouloir acheter de la nouveauté, de nouvelles fonctions, de la puissance.

  • Le quatrième moteur est le « cœur atomique » du troisième ; c’est la quantification des abstractions mathématiques. Tout se ramène à la culture des 0 et des 1, le langage  programmatique de l’informatique. Dans le monde numérique la qualité qui relève de la subjectivité et de la sensibilité s’efface sous le règne des nombres.

Derrière les mirages de la puissance, de la nouveauté, de l’originalité et de la performance on voit poindre le monde de l’ennui et de la désespérance. La disparition des limites libère les pulsions consuméristes. On ne promeut plus un usage des choses mais la puissance. La quête du toujours plus rend insatiable et engendre son cortège de frustrations et d’insatisfactions. Épicure l’avait déjà perçu : « l’homme qui n’est pas content de peu n’est content de rien »[1]. Nous sommes plongés dans la démesure. Les machines qui étaient censées nous faire gagner du temps et nous libérer des pesanteurs du réel nous font vivre dans l’urgence. Le rétrécissement du monde nous en fait perdre le sens et dissout au fond toutes nos possibilités d’agir réellement. 

Le contraire de l’épanouissement ! Le contraire du bonheur!

Notre civilisation tourne le dos à ce qui devrait être son objectif premier : nous rendre heureux. Car, paraphrasant l’Évangile, à quoi nous sert-il de conquérir toute la matière, si nous devons nous y perdre ?

Poser cette question c’est donner la réponse.

Le résultat est sous nos yeux. La population s’abrutit à coups d’antidépresseurs, de Viagra, de pilules en tous genres pour bien commencer la journée, réussir la réunion à venir, se détendre, gagner le jogging du lendemain etc. Nos existences sont hantées par la réussite…

Tableau terrifiant… Diagnostic dramatique.

Et demain, ce sera le trans-humanisme sous-tendu par cette idée que plutôt que d’adapter le monde aux exigences de l’homme, l’homme doit être transformé pour s’adapter ; objectif qui pourra être atteint grâce au développement de la technoscience… jusqu’au jour où notre cerveau sera remplacé par de l’intelligence artificielle !

Nous devons opposer une autre échelle de valeurs conforme à nos attentes et à nos besoins.

En conclusion d’un livre que j’ai beaucoup utilisé pour écrire ce billet Cédric BIAGINI[2] explique que nous devons distinguer techniques et technologie. « Pour retrouver la plénitude de la présence au monde, à soi et aux autres, nous devons nous réapproprier nos conditions matérielles d’existence en exerçant nos capacités de sensation, de réflexion et d’action dans des activités qui font appel à des savoir-faire qu’en tant que producteurs nous pouvons maîtriser–caractéristiques de ce que l’on appelle le métier ».

Il ne s’agit pas de nous enfermer dans un refus des bienfaits que peuvent apporter les progrès techniques mais rejeter la soumission à ces progrès. Reprendre notre destin en main !

Voilà un projet politique, un vrai projet politique…, sachant que l’attitude de chacun par rapport à l’usage des techniques sera un élément nécessaire de cette réappropriation mais un élément non suffisant s’il n’est pas accompagné d’une œuvre collective qui est de l’ordre de l’État.





[1] http://www.mon-poeme.fr/citations-epicure/
[2] https://www.lechappee.org/l-emprise-numerique-0

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