Vous devez ce billet à mon épouse, et à la coupe du monde
de football. « Peut-on encore aimer le football ? » Cette interrogation
est le titre d’un essai récent de Robert Redeker.
Tout commence au café de midi: « Comment peux-tu te passionner pour une
compétition et une équipe pratiquant un sport qui foule aux pieds toutes les
valeurs que tu défends ? »
La même question a déjà été posée sous un autre angle par
Jean-Luc Mélenchon lorsqu’il s’insurgeait à l’encontre du fait que des gens
modestes puissent avoir comme idoles des athlètes aux salaires faramineux,
indécents, hors normes.
Le fonds de cette commune interrogation est de savoir
comment et pour quelle raison des hommes et des femmes peuvent en venir à
oublier toutes autres considérations, lorsqu’ils se passionnent pour une équipe
de football.
Comment et pourquoi puis-je, en ce qui me concerne, céder
à cette « foot-mania » ? Je ne suis pas fan au point que je puisse tout sacrifier
pour assister à un match. Je ne vais pas au stade. Mais j’aime regarder les
matchs et je confesse un réel chauvinisme : je soutiens l’équipe de France
; je souhaite qu’elle gagne ! Je fais quand même partie de cette catégorie de
Français qui, sauf événement professionnel majeur et incontournable, arrêteront
de travailler à 17 heures pour regarder l’un des matchs de l’équipe de France !
Ainsi donc, je peux soutenir notre équipe nationale, et aimer
ce sport, comme tous les sports dès lors que des français participent aux
compétitions, au risque d’en oublier toutes autres considérations pourtant affirmées
comme prioritaires, de manière récurrente et sincère ! C’est sur ce point que
ma tendre moitié a mis le doigt, avec cette insistance que les femmes peuvent
avoir pour appuyer là « où cela fait mal ». « Toi qui poses des questions de principe pour tout, là tu les oublies ! »
Et comme elle l’a souligné, au moins pendant un mois jusqu’à la fin de la
compétition, nous n’entendrons plus parler d’autre chose, sans pour autant que
la terre ne s’arrête de tourner… Nous aurons la paix…
Une remarque s’impose néanmoins ; quelle que soit la
dureté du jugement dont je fais ainsi état à mon égard, et dont je reconnais la
justesse, je n’en perds pas toute lucidité. Je ne verserai pas, jamais, dans un
hooliganisme même soft…, pas plus que dans le désespoir ou le triomphalisme
aveugles, en cas de victoire ou de défaite, même si cela habitera mes pensées.
Alors, où est le problème ?
Le monde du football est pourri par l’argent. Les médias
le manipulent et nous manipulent à des fins exclusivement mercantiles.
Robert Redeker déclare : « Le football est un système. Pour son malheur il est aussi devenu une
industrie, et un secteur de l’industrie du spectacle. C’est cette
industrialisation qui est à la source de toutes les dérives qui nous chagrinent ».[1]
Les médias et les acteurs qui spéculent sur le foot et en
particulier sur le Mondial, surfent sur la fibre du chauvinisme, du sport, de
la dynamique des foules, de l’esprit de compétition, de la volonté de gagner
par procuration et de la passion que peut susciter une grande compétition
internationale.…
Que cache ce phénomène ?
Robert Redeker le stigmatise : « C’est moins du patriotisme qu’un tribalisme
régressif, au mieux du chauvinisme. Le patriotisme vit d’une haute de l’homme
et de la société. La place de la vanité dans le tribalisme des supporters
l’éloigne de tout tribalisme. Ce tribalisme arrive en contrepoids à la
mondialisation, dont le football est l’un des symboles les plus forts ».
Sans que dans mon cas particulier on en arrive à ce stade
du tribalisme régressif - et je ne pense pas être un cas isolé - le ressort qui
peut y conduire n’en produit pas moins certains effets justifiant la critique d’une
attitude contradictoire par rapport à mes engagements, mes valeurs, mes principes
si régulièrement affirmés…
J’oublie ce qu’il y a derrière l’écran ; je ne me
pose pas de question…
Que penser du parallèle fait par le même Robert Redeker
avec le fait que le football devienne une sorte de religion de substitution ?
Surtout pour quelqu’un comme moi qui n’hésite pas à afficher ses convictions
religieuses… Il a raison ; et là je n’hésite pas à l’affirmer moi aussi…
Plusieurs facteurs jouent de manière conjointe dans une
forme d’alchimie qui provoque ce phénomène sociologique, aux accents quasi
religieux, culturel dans un monde qui n’a plus de culture ; phénomène qui a des
ressemblances avec les jeux des arènes romaines, ou avec l’utilisation qui fut
faite de l’idéal sportif et de la compétition ainsi que de la mécanique des
foules dans de nombreux régimes totalitaires.
Le sportif apparaît comme le miroir de notre société,
cristallisant ses espoirs, incarnant ses valeurs, mais aussi mettant à jour ses
vices, ses insuffisances, ses inquiétantes dérives.
Je lis sur un blog: Tout le monde connaît la célèbre citation de Stendhal à
propos du roman qui serait, selon lui "un miroir qu'on promène sur une
grand route". Le sportif pourrait lui aussi être ce miroir, mais il est
intéressant d'envisager la citation de son roman Le rouge et le noir dans son
ensemble : "Un roman est un miroir qui se promène sur une grand route.
Tantôt il reflète l'azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers et de la
route. Et l'homme qui porte le miroir dans sa hotte sera par vous accusé d'être
immoral ! Son miroir montre la fange et vous accusez le miroir ! Accusez bien
plutôt le grand chemin où est le bourbier, et plus encore l'inspecteur des
routes qui laisse l'eau croupir et le bourbier se former »[2]
Mais, toujours pour revenir à mon cas particulier - je
reste sur le divan….au risque du supplice…..- je ne procède pas à une pareille
inversion. Je ne m’identifie pas dans les joueurs de l’équipe que je regarde et
soutiens. Mais le mirage socio-culturel provoque malgré tout un phénomène d’occultation
des valeurs ; il crée une sorte de parenthèse, de sas de décompression, de
refuge ; il me rend autiste…jusqu’à un certain point….
Je participe donc de cet élan collectif, manipulé, pourri
par un système qui présente la quasi-totalité des défauts que je suis pas
ailleurs le premier à dénoncer ; et je persiste, même si je m’efforce de
prendre du recul, comme ce billet en sera peut-être le témoignage…
Je conclurai avec Diderot, une fois n’est pas coutume “Il
n’y a qu’un pas du fanatisme à la barbarie”, dans son “Essai sur le mérite et
la vertu”.
C’est tout le problème….
Mon épouse a raison ; une fois de plus ! Comment peut-on encore aimer un sport qui véhicule de pareilles valeurs?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Commentez cet article et choisissez "Nom/URL" ou Anonyme selon que vous souhaitez signer ou non votre commentaire.
Si vous choisissez de signer votre commentaire, choisissez Nom/URL. Seul le nom est un champ obligatoire.