dimanche 10 juin 2018

PEUT-ON ENCORE AIMER LE FOOTBALL?


Vous devez ce billet à mon épouse, et à la coupe du monde de football. « Peut-on encore aimer le football ? » Cette interrogation est le titre d’un essai récent de Robert Redeker.



Tout commence au café de midi: « Comment peux-tu te passionner pour une compétition et une équipe pratiquant un sport qui foule aux pieds toutes les valeurs que tu défends ? »

La même question a déjà été posée sous un autre angle par Jean-Luc Mélenchon lorsqu’il s’insurgeait à l’encontre du fait que des gens modestes puissent avoir comme idoles des athlètes aux salaires faramineux, indécents, hors normes.
Le fonds de cette commune interrogation est de savoir comment et pour quelle raison des hommes et des femmes peuvent en venir à oublier toutes autres considérations, lorsqu’ils se passionnent pour une équipe de football.

Comment et pourquoi puis-je, en ce qui me concerne, céder à cette « foot-mania » ? Je ne suis pas fan au point que je puisse tout sacrifier pour assister à un match. Je ne vais pas au stade. Mais j’aime regarder les matchs et je confesse un réel chauvinisme : je soutiens l’équipe de France ; je souhaite qu’elle gagne ! Je fais quand même partie de cette catégorie de Français qui, sauf événement professionnel majeur et incontournable, arrêteront de travailler à 17 heures pour regarder l’un des matchs de l’équipe de France !

Ainsi donc, je peux soutenir notre équipe nationale, et aimer ce sport, comme tous les sports dès lors que des français participent aux compétitions, au risque d’en oublier toutes autres considérations pourtant affirmées comme prioritaires, de manière récurrente et sincère ! C’est sur ce point que ma tendre moitié a mis le doigt, avec cette insistance que les femmes peuvent avoir pour appuyer là « où cela fait mal ». « Toi qui poses des questions de principe pour tout, là tu les oublies ! » Et comme elle l’a souligné, au moins pendant un mois jusqu’à la fin de la compétition, nous n’entendrons plus parler d’autre chose, sans pour autant que la terre ne s’arrête de tourner… Nous aurons la paix…

Une remarque s’impose néanmoins ; quelle que soit la dureté du jugement dont je fais ainsi état à mon égard, et dont je reconnais la justesse, je n’en perds pas toute lucidité. Je ne verserai pas, jamais, dans un hooliganisme même soft…, pas plus que dans le désespoir ou le triomphalisme aveugles, en cas de victoire ou de défaite, même si cela habitera mes pensées.

Alors, où est le problème ?

Le monde du football est pourri par l’argent. Les médias le manipulent et nous manipulent à des fins exclusivement mercantiles.

Robert Redeker déclare : « Le football est un système. Pour son malheur il est aussi devenu une industrie, et un secteur de l’industrie du spectacle. C’est cette industrialisation qui est à la source de toutes les dérives qui nous chagrinent ».[1]

Les médias et les acteurs qui spéculent sur le foot et en particulier sur le Mondial, surfent sur la fibre du chauvinisme, du sport, de la dynamique des foules, de l’esprit de compétition, de la volonté de gagner par procuration et de la passion que peut susciter une grande compétition internationale.…

Que cache ce phénomène ?

Robert Redeker le stigmatise : « C’est moins du patriotisme qu’un tribalisme régressif, au mieux du chauvinisme. Le patriotisme vit d’une haute de l’homme et de la société. La place de la vanité dans le tribalisme des supporters l’éloigne de tout tribalisme. Ce tribalisme arrive en contrepoids à la mondialisation, dont le football est l’un des symboles les plus forts ».

Sans que dans mon cas particulier on en arrive à ce stade du tribalisme régressif - et je ne pense pas être un cas isolé - le ressort qui peut y conduire n’en produit pas moins certains effets justifiant la critique d’une attitude contradictoire par rapport à mes engagements, mes valeurs, mes principes si régulièrement affirmés…

J’oublie ce qu’il y a derrière l’écran ; je ne me pose pas de question…
Que penser du parallèle fait par le même Robert Redeker avec le fait que le football devienne une sorte de religion de substitution ? Surtout pour quelqu’un comme moi qui n’hésite pas à afficher ses convictions religieuses… Il a raison ; et là je n’hésite pas à l’affirmer moi aussi…

Plusieurs facteurs jouent de manière conjointe dans une forme d’alchimie qui provoque ce phénomène sociologique, aux accents quasi religieux, culturel dans un monde qui n’a plus de culture ; phénomène qui a des ressemblances avec les jeux des arènes romaines, ou avec l’utilisation qui fut faite de l’idéal sportif et de la compétition ainsi que de la mécanique des foules dans de nombreux régimes totalitaires.

Le sportif apparaît comme le miroir de notre société, cristallisant ses espoirs, incarnant ses valeurs, mais aussi mettant à jour ses vices, ses insuffisances, ses inquiétantes dérives. 

Je lis sur un blog: Tout le monde connaît la célèbre citation de Stendhal à propos du roman qui serait, selon lui "un miroir qu'on promène sur une grand route". Le sportif pourrait lui aussi être ce miroir, mais il est intéressant d'envisager la citation de son roman Le rouge et le noir dans son ensemble : "Un roman est un miroir qui se promène sur une grand route. Tantôt il reflète l'azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers et de la route. Et l'homme qui porte le miroir dans sa hotte sera par vous accusé d'être immoral ! Son miroir montre la fange et vous accusez le miroir ! Accusez bien plutôt le grand chemin où est le bourbier, et plus encore l'inspecteur des routes qui laisse l'eau croupir et le bourbier se former »[2]

Mais, toujours pour revenir à mon cas particulier - je reste sur le divan….au risque du supplice…..- je ne procède pas à une pareille inversion. Je ne m’identifie pas dans les joueurs de l’équipe que je regarde et soutiens. Mais le mirage socio-culturel provoque malgré tout un phénomène d’occultation des valeurs ; il crée une sorte de parenthèse, de sas de décompression, de refuge ; il me rend autiste…jusqu’à un certain point….

Je participe donc de cet élan collectif, manipulé, pourri par un système qui présente la quasi-totalité des défauts que je suis pas ailleurs le premier à dénoncer ; et je persiste, même si je m’efforce de prendre du recul, comme ce billet en sera peut-être le témoignage…

Je conclurai avec Diderot, une fois n’est pas coutume “Il n’y a qu’un pas du fanatisme à la barbarie”, dans son “Essai sur le mérite et la vertu”. 

C’est tout le problème….

Mon épouse a raison ; une fois de plus ! Comment peut-on encore aimer un sport qui véhicule de pareilles valeurs?


[1] https://www.breizh-info.com/2018/05/19/95961/robert-redeker-le-football-est-le-nouveau-catechisme
[2] http://sportetsociete.canalblog.com/archives/2016/02/25/33426971.html

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