Encore Homère !
Pourquoi s’y
intéresser à nouveau me direz-vous?
Ne devrions-nous pas plutôt nous demander pourquoi tant d’hommes
de qualité se sont nourris de ses vers depuis qu'ils ont assiégé les mémoires ?
Comment
expliquer son actualité récurrente, permanente, traversant et défiant le temps?
Pourquoi cetuniversalisme ?
Léon Bloy a
écrit « lorsque je veux des nouvelles j’ouvre Saint-Paul ». On peut dire
la même chose avec L’Illiade et l’Odyssée, comme avec d’autres grands maîtres
de la littérature, de la poésie et de la philosophie à l’image de Cicéron ainsi
que Jacques Trémolet de Villers nous en donne l’illustration dans son livre récemment
publié « A table avec Cicéron » que j’ai déjà évoqué.
Charles Péguy nous
donne la réponse lorsqu’il écrit qu’Homère est le maître du familier. Sylvain Tesson
le confirme dans son livre « Un été avec Homère ». Homère et nous, au
quotidien.
Homère est maître
en humanité. Il met l’homme en scène – et la femme qui provoque, explique et
éclaire ses épopées lyriques- avec leurs défauts, leurs qualités, leurs
travers, leurs excès, mais aussi leur simplicité et leur soumission à la
nature, à leur nature acceptée, maîtrisée, dominée, subie et sublimée. À une
époque où nous recherchons les moyens de retrouver le sens de l’humain, pour lui
redonner sa place dans un univers dominé par le technique et la technologie,
nous avons beaucoup d’enseignements à tirer des récits homériques.
Dans un
billet sur ce même livre Jean Grimaldi d’Esdra écrit qu’Homère nous livre une
vérité sur l’homme à travers son approche du monde, la maîtrise de la force et
la recherche de l’équilibre chez ses héros[1].
Nous vivons sans
nourrir ni nos réflexions, ni notre expérience, ni nos combats, des exemples de ces héros, comme si ils étaient des momies d’un passé révolu, comme si les chants
qui les mettent en scène ne pouvaient plus nous inspirer de manière concrète et quotidienne. La mythologie du
progrès et de la technique s’entretient de la vanité et de la prétention selon
lesquelles du passé nous pourrions faire table rase, en ne conservant ses
champions que comme de simples sources de distraction culturelle, comme une
sorte de coquetterie pour gens lettrés.
Nous devons
démasquer cette prétention. Et, pour ce faire, nous avons besoin d’Homère,
prince des poètes épiques, réalistes, familiers et nourris de vérité sur l’homme. Rien de ce
qui est humain ne lui est étranger. Son poème est celui de l’homme, d’Ulysse
aux mille ruses, et d’Achille, le « divin Achille aux pieds rapides »…
poème épique de l’éternité et de l’actualité de l’homme confronté au quotidien,
à sa nature, aux Dieux, aux autres, aux siens.
« Rien ne mérite plus
les gémissements que les hommes,
parmi tous les êtres
vivants et marchant sur la terre. »
Illiade, XVII², 446-447
Simone Weil
conclut son merveilleux texte « l’Iliade ou le poème de la force » de la
manière suivante : « Mais rien de ce qu’ont
produit les peuples d’Europe ne vaut le premier poème connu qui soit apparu
chez l’un d’eux. Ils retrouveront peut-être le génie épique quand ils sauront
ne rien croire à l’abri du sort, ne jamais admirer la force, ne pas haïr les
ennemis et ne pas mépriser les malheureux. Il est douteux que ce soit pour
bientôt »[2].
Texte prémonitoire, écrit il y a plus de 70 ans. Comment mieux illustrer la
permanence des enseignements que nous pouvons tirer de ce poème fondateur ?
Achevons
notre réflexion avec le retour d’Ulysse. Ses retrouvailles avec Pénélope après
20 ans de séparation, marquées par l'épreuve de la vérité ancrée dans la nature, dans un tronc
d’Olivier, aux racines duquel est arrimé le lit matrimonial. Dernière épreuve qu'inflige son épouse au héros revenu pour s’assurer de son identité. Et Tesson d’écrire « ainsi, les arbres sont-ils convoqués par
Homère comme affirmation symbolique de la vérité. Ce qui est planté ne ment pas
». À l’inverse de ce qui est inventé ou imaginé par l’homme….
Vérité
qui nous renvoie aux mensonges du monde moderne, « le monde change ! Il faut l’accepter
! » nous rappelle encore Tesson évoquant Hannah Arendt et son affirmation de « la dégradante
obligation d’être de son temps ».
Et si pour
être de notre temps nous dussions inviter les vérités éternelles, du temps d’Homère comme
d’aujourd’hui, pour imposer les leçons d’humanité sans lesquelles nos progrès
ne seront que des mensonges virtuels sans racines et sans avenir ?
Semper idem!
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