Alain Finkielkraut qui peut déplaire et dont je ne suis pas un admirateur inconditionnel publie un nouvel essai intitulé " L’APRÈS LITTÉRATURE " que je viens de lire.
Ce livre contient de belles intuitions. L’une d’entre elles me retiendra ce soir. Voici comment il l’exprime :
« En temps ordinaire il y a deux
antidotes à la disparition du particulier dans le général : La littérature et
le droit. L’attention aux différences et le refus de penser par masses, qui
caractérisent l'approche juridique et l'approche littéraire de l'existence,
nous préservent de l'idéologie. En période révolutionnaire, cette humanité et
cette perspicacité sont balayées par le déferlement d'une pitié impitoyable ».
Le parallèle entre la justice et la littérature est
intéressant.
La justice est-elle vraiment victime d’une perte d’attention
aux différences et d’une pensée de masse ? Elle l’est assurément en ce sens,
comme je l’ai déjà exprimé souvent, qu’elle est l’objet du droit alors que
celui-ci est devenu un univers de réglementations évoluant au gré des intérêts
partisans et des revendications catégorielles sous la surveillance sentencieuse
de juges sans légitimité. Dès lors, la justice fluctue au gré de la mise en
œuvre de textes épars, désordonnés, adoptés au coup par coup et de
jurisprudences catégorielles et subjectives. Elle ne rayonne plus. Elle ne
stabilise plus la vie sociale. Elle ne rétablit plus l’équilibre de la balance
entre les injustices réelles vécues au quotidien.
La réflexion sur l’approche littéraire, à laquelle notre
auteur ajoute ensuite la disparition de la dimension poétique et de la
recherche du beau, est tout aussi éclairante et significative.
Alain Finkielkraut écrit ailleurs dans son livre que « nous
avons besoin des histoires que le roman nous raconte pour ne plus nous raconter
d'histoires », et « de mots pour ne pas nous payer de mots ».
Il cite ensuite Levinas : « l'action de la littérature sur les hommes,
c'est peut-être l'ultime sagesse de l'Occident » et Marc Fumaroli : « la
littérature est la jurisprudence de la vie humaine ».
Il évoque en réalité l’approche
littéraire du monde. Reprenant les mots de Philippe Roth dont il est un fervent
admirateur il répond dans une interview que « la littérature maintient
le particulier dans un monde qui simplifie et qui généralise ».
Il affirme que la littérature ne cherche ni à faire le
bien ni à le dire. Pour lui elle cherche la vérité et n’est au service d’aucune
cause. Et ailleurs : « Quand on généralise la souffrance, on a le
communisme, quand on particularise la souffrance on a la littérature ».
Et il conclue en citant Alexandre Soljenitsyne « dans
le combat contre le mensonge, l’art a toujours gagné, et il gagnera toujours
ouvertement irréfutablement, dans le monde entier ».
On retrouve cette référence au communisme à plusieurs
reprises dans son livre. C’est une autre idée-force qui finalement est en lien
avec la précédente : « le progressisme a pris le relais et
perpétué l'idée d'un accomplissement du bien dans l'histoire. L'épreuve du
stalinisme nous ayant été épargnée nous avons largué les amarres et nous
prenons pour un gage d'ouverture une conquête de la Liberté, un déracinement
salutaire, notre misérable condition d'apatrides spirituels. …L'état
totalitaire est mort, l'esprit totalitaire demeure. »
Un peu plus tôt il avait écrit : « On n’est pas quitte
avec le communisme quand on se contente de dénoncer l'horreur des camps
staliniens. Il faut opposer l'élaboration en commun du sens à l'idée d'un sens
de l'histoire ».
Non le communisme, et le marxisme qui en fut le lit, ne
sont pas morts. Nous croyons les avoir tués. En réalité ils nous ont infestés,
contaminés.
Cette crise de l’approche littéraire et artistique du
monde se caractérise par notre inaptitude collective, sociale et culturelle, à
ne pas nous laisser envahir par nos émotions, nos combats, nos idéologies.
Je crois que l’auteur met le doigt sur un point capital.
Quand il écrit que l’État totalitaire est mort et que l’esprit totalitaire
demeure il énonce une vérité fondamentale. Marcus n’avait-il pas affirmé que l’enjeu
était culturel. Les victimes de l’exclusion communiste n’ont-elles pas résisté
avec leur culture, leur langue et leur art ?
Or quant à nous, nous sombrons sans art, sans poésie,
sans peinture, sans sculpture, sans théâtre, sans musique.
Alain Finkielkraut pense que la France patrie littéraire
est en train de devenir pour son malheur une société littérale ; il met
ainsi en exergue notre perte du sens commun des choses, notre incapacité à les
dépasser et les sublimer ou les tourner en dérision, comme l’art sait et peut
le faire.
L’art, la poésie, la littérature, la peinture, la
sculpture, le théâtre, la musique sont imperméables à l’idéologie. C’est un
combat à mort qui se livre entre celles-ci et celle-là. Si l’idéologie
triomphe, l’art meurt.
Voilà pourquoi il faut effectivement arrêter de galvauder
les mots pour ne pas se payer de mots, et avoir besoin d’histoires pour ne plus
nous raconter des histoires.
Dans d’autres pages de son livre l’auteur se révolte
contre le néo féminisme, l’antiracisme, l’écologisme qui sont des globalités revendicatrices,
déstructurantes et sans intelligence.
Lorsqu’il affirme que la littérature cherche la vérité et
n’est au service d’aucune cause il rejoint une autre affirmation de
Soljenitsyne pour qui la seule véritable résistance au totalitarisme consiste
dans le refus du mensonge.
Tous nos « ismes » ne sont pas fondés sur la recherche de
la vérité, des vérités de ce qui est vécu autour de nous, mais sur des
réactions, des combats, des engagements, des luttes réduisant le monde en une
série de particularismes qui s’opposent idéologiquement et, sur le plan
culturel, en un multiculturalisme qui progressivement nous détruit de l’intérieur.
D’autres que lui aujourd’hui comme par exemple Marion
Maréchal développent cette thèse d’une persistance d’une nouvelle forme de
totalitarisme dans nos démocraties idéologisées.
Alain Finkielkraut n’est pas spécialement un optimiste.
On me fait le reproche de ne pas l’être non plus…
Et dire que je m’étais promis en cette rentrée automnale
de nourrir mes écrits d’espérance !
Aurais-je manqué à ma promesse ?
Alain Finkielkraut m’aurait-il influencé ?
À la réflexion, et bien que je n’ai pas encore eu le
temps de méditer plus profondément et plus intensément ces idées que je viens d’évoquer,
je crois que les intuitions contenues dans « L’APRES LITTERATURE » sont de
nature à nourrir une véritable espérance tant il est vrai que je me refuse à
céder à l’optimisme ou au pessimisme.
La France est un peuple politique et littéraire,
poétique, artistique. Elle le demeurera.
Il existe autour de nous de vrais artistes animés par
cette passion de la vie, des hommes et des femmes, de la vérité de l’humain
sous toutes ses formes, individuelles comme collectives. Reste qu’aujourd’hui
ce ne sont pas eux qui donnent le « la ». Il ne dépend que de nous d’aspirer
à autre chose qu’aux refrains déshumanisants dont on nous abreuve et à une
culture de France comme le prétend Emmanuel Macron !
Comme par hasard, en est-ce un ?, il se trouve que notre
ancien président de la république Nicolas Sarkozy vient de prendre sa plume
pour nous livrer un texte affirmant qu’il existe bien une culture française.
Puis cette conversion sans doute tardive nous aidait dans notre prise de
conscience et dans notre réveil !
Finkielkraut et Sarkozy, même combat ?
L’avenir le dira…
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