Le procès des attentats du 13 novembre 2015 se poursuit. Lent. Inexorable. Douloureux. Dramatique.
Je suis de ceux qui se sont posés la question de son utilité.
Mais il faut se rendre à l’évidence. Il est nécessaire. Indispensable. Comment
faire autrement ?
Ne nous voilons toutefois pas la face : pour certains notre capacité à opposer l'état de droit à la barbarie ferait notre grandeur, sauf que nos règles de droit sont à ce point absconses et procédurières que, pour reprendre la formule du droit romain, la justice n’est plus l’objet du droit contemporain de telle sorte que notre état de droit pourrait devenir le lit de notre affaiblissement.
Alors un procès oui avec prudence, mais un procès pour quoi?
Un procès pour les victimes? Certes mais qu'en attendent-elles et que peut-il leur apporter?
Il se trouve qu’une cousine de mon épouse a perdu sa
fille au Bataclan.
Elle a traversé cette épreuve épouvantable à l’aide de l’écriture et a publié récemment un livre émouvant, profond, authentique à la lecture duquel je vous invite[1]. De manière à vous faire une idée de son état d’esprit écoutez cette vidéo :
J’en retire deux enseignements par rapport à l'attente des victimes.
Florence n’a pas compris pourquoi l’assassin de sa fille ne
serait pas jugé du fait qu’il était mort. Pour elle, il fallait qu’il le soit.
Revendication de justice d’une victime. Elle transgresse nos règles de droit
habituelles. En effet, selon les termes de l'article 6 du code de procédure
pénale : "L'action publique pour l'application de la peine s'éteint par
la mort du prévenu, la prescription, l'amnistie, l'abrogation de la loi pénale
et la chose jugée." Cette règle
faisait l’objet d’exceptions en droit romain et dans notre ancien droit, mais
elle fut érigée en disposition absolue lors de la révolution française. Il est
vrai que le jugement d’un mort pose la question de la défense ; un mort ne
peut pas se défendre ! De plus la peine pénale n’a pas de sens à son
encontre.[2]
L’incompréhension de Florence, dans un cas aussi exceptionnel et exemplaire
pose la question de savoir si les victimes n’ont pas précisément droit à un jugement,
à leur jugement, car celui qui va avoir lieu sera partiel et incomplet. Mais comment ? Difficile. À réfléchir. À méditer.
Mais surtout, et c’est le deuxième enseignement, j’avoue
avoir été profondément marqué par ses mots lorsqu’elle a répondu à son interviewer
de LA CROIX qu’il lui était impossible d’avoir de la haine compte tenu de la
douleur qu’elle avait affrontée. Ainsi donc sa souffrance lui interdit de haïr
! Elle ne le peut pas... Je suis muet, touché, frappé, interloqué par la puissance de cette douleur et
la dignité qui l’anime. D’ailleurs, lorsque vous lirez son livre vous ne
relèverez à aucun moment la moindre parcelle d’expression d’un sentiment de
haine à l’égard de ceux qui ont perpétré l’horreur insoutenable dont sa fille a
été l’une des victimes.
Si ce procès a un mérite c’est celui de fournir aux victimes l'occasion unique de faire leur deuil ou de les aider à le faire; mais aussi de nous donner l’occasion d'essayer de nous hisser à la hauteur de leur souffrance et de nous associer par la pensée, par la prière pour ceux qui le peuvent et le veulent, au drame qu'elles ont été vécu dans leur chair ou dans leur cœur.
Si nous voulons que les grands mots qui ont
été formulés à l’occasion de ces attentats deviennent une réalité vraie, vécue dans la sincérité et la proximité, il faut nous mettre à leur hauteur. Si nous voulons que notre solidarité ait un sens ...
Ces victimes, ces parents de victimes, ont besoin de notre
aide. Cette aide ne peut se manifester que spirituellement, par cette présence
invisible dont les humains sont capables. Seul le soutien des âmes apporte le secours attendu, nécessaire, indispensable, vital, sauveur. Preuve transcendante autant qu'immanente de la dimension spirituelle de la vie!
Seule la voie de la solidarité des âmes peut permettre de
dépasser sans les annihiler les effets de la violence aveugle dont nos frères ont été les victimes
le 13 novembre 2015.
Nul doute que cette douleur partagée en vérité puisse
signifier quelque chose qui nous dépasse et qui ne saurait être indifférent à
Celui qui règne de toute éternité, non pas pour amoindrir la douleur des
vivants – elle ne peut l’être - mais pour des raisons qui nous échappent et que
seuls ceux qui sont entrés dans le mystère insondable comprennent et vivent.
[1] https://livre.fnac.com/a15006412/Florence-Ancellin-CaroAnge
[2] https://ledroitcriminel.fr/la_science_criminelle/penalistes/les_poursuites_penales/action_publique/helie_deces.htm
Merci.
RépondreSupprimerLa dignité exprimée par ta cousine Florence est admirable, c’est vrai Bernard, et je m’incline respectueusement devant elle.
RépondreSupprimerLa réponse spirituelle est sans doute le moyen le plus approprié de contenir la douleur des familles à un niveau humainement supportable.
A l’évidence, les victimes de cet épisode atroce de notre Histoire ont besoin de faire leur deuil et ont droit à un procès ; ils ont aussi droit à la compassion de leurs compatriotes… pour autant que « la patrie » ait encore quelque signification chez les Français.
J’espère cependant que le procès ne constituera pas une sorte de tribune pour les barbares islamistes.