Pourquoi vivons-nous une crise des limites ? Y a-t-il une remise en cause des limites dans nos vies, dans nos actions, dans nos réflexions, dans nos interactions sociales ? Est-il utile de s’interroger à ce sujet ? Dans quel but ? Limites ou "no limites"? qu'est-ce qui se cache derrière ce rejet ?
Tel fut le thème de la conférence de Roger Pol DROIT et
de Madame Monique ATLAN, auteurs d’un livre sur ce sujet[1],
à laquelle nous a convié la ville de Saint-Raphaël le 6 novembre 2021.
Il y a assurément une crise des limites dans notre monde
moderne. Nous sommes imprégnés par l’idée, voir le rêve…, de les repousser, de
les transgresser voire de les nier. Et d’un autre côté la récente crise de la
pandémie nous a révélé combien elles sont réelles à de multiples égards.
Notre philosophe a décrit trois attitudes possibles par
rapport aux limites :
Le respect à l’image des Grecs et des Romains puis de la
période moyenâgeuse. On cherche à se protéger de la démesure. Seule la mesure
est humaine. On prêche par exemple la vertu de tempérance. C’est le « nec
plus ultra » des colonnes d’Hercule.
La renaissance eut une attitude inverse, diamétralement
opposée ; l’homme chercha à aller au-delà des limites. C’est « plus ultra ».
Les noms de Copernic et de Galilée résonnent comme autant de défis contre les
certitudes de l’époque et les limites qu’elles traçaient. Il s’agissait bien de
dépasser toutes les limites afin de les repousser. Mais on ne contestait pas qu’il
en existât.
Enfin, la troisième attitude qui triompha à la fin du XXe
siècle ; c’est celle de l’effacement des limites qui plonge ses racines
dans l’éloge de la transgression par exemple chez le Marquis de Sade puis dans
les slogans de Mai 68.
Après cet exposé il nous fut proposé de concrétiser et de
redéfinir la notion de limite de manière à rechercher des solutions pour en
retrouver le sens et l’utilité. La complexifier pour sortir du débat stérile
autour de limites intangibles devenues obsessionnelles. Contre le « tout
ou rien ». Le dépasser…
Malgré la qualité du travail de recherche et d’analyse,
cette conclusion m’a laissé sur ma faim, perplexe. Je me suis interrogé avant d’interpeler
le conférencier. Pourquoi finir ainsi sur une conclusion proposant une solution
étriquée, complexe, difficile qui ne semble pas vouée au succès dans un monde
devenu fou dans lequel l’homme rêve de transhumanisme, d’immortalité ? Comment
raisonner face à la disparition de toute raison ?
Et je me suis laissé aller à penser qu’il manquait
quelque chose dans cette analyse. Nos conférenciers n’oubliaient-ils pas les
éléments de réponse susceptibles d’être apportés par la relation que l’homme
est amené à entretenir avec le seul être qui soit illimité c’est-à-dire Dieu.
Car du temps des grecs et des romains les dieux étaient présents. Il en fut de
même au cours de la renaissance monothéiste et chrétienne, et le combat de
Galilée avec l’Eglise en fut une illustration. N’avait-il pas fallu attendre l’époque
moderne nihiliste et agnostique si ce n’est athée pour rejeter Dieu… de manière précisément à installer ce pouvoir
consistant pour l’homme à effacer toutes les limites et à réaliser son rêve
prométhéen.
Je n’ai malheureusement pas eu de réponse de la part de
notre conférencier qui s’est contenté de me renvoyer ma question en s’interrogeant
sur la manière dont Dieu pouvait nous aider à résoudre le problème des limites….
Mais le sens de ma question n’était pas là.
Elle était de savoir comment l’analyse, l’approfondissement,
la maîtrise et le développement de la relation de l’homme avec Dieu à travers
la religion, ou simplement le questionnement de l’homme à ce sujet, peut aider
à gérer la notion des limites.
La cause de cette évolution débouchant sur un blocage
autour des limites à travers une opposition de plus en plus vive entre ceux qui
veulent les transgresser et ceux qui veulent s’y réfugier n’était-elle pas dans
la volonté de l’homme de se substituer à Dieu ou dans son angoisse métaphysique
par rapport à sa possible existence ?
Au fond, n’était-ce pas le silence autour de la question de
Dieu, que l’on croit ou que l’on n’y croit pas, qui expliquait le problème de
la crise des limites ? Et pour aller encore plus loin l’ambiguïté de la
position de nos conférenciers à ce sujet, leur propre silence sur la question,
n’était-il pas le maillon faible de l’arraisonnement expliquant la difficulté
que l’on pouvait avoir, à la suite de cette conférence, à s’identifier dans les
solutions proposées ?
N’était-ce pas le seul moyen de réintégrer un peu de
sagesse face à la folie prométhéenne qui envahit nos choix dans tous les
aspects de nos existences ?
Et puis il y a aussi Albert Camus. “Non, un homme ça s’empêche. Voilà
ce que c’est un homme, ou sinon…”[2]
Camus place en exergue aux Lettres à un ami allemand ce mot
de Pascal : « On ne montre pas sa grandeur pour être à une extrémité,
mais bien en touchant les deux à la fois ». Ce sens du défi (à l'esprit de
système), ce refus des positions exclusives semblent, selon nous, emblématiques
de la tension qui caractérise la pensée, l'esthétique, l'écriture camusiennes[3].
Camus qui précisément s’interrogea toute sa vie sur l’humanisme
et l’athéisme.
Pour conclure, le « no limites » de notre époque n’est-il
pas d’abord le résultat et la conséquence du grand silence sur la question de l’illimité,
de l’absolu et de la place que nous faisons à Dieu, que nous y croyons ou que
nous n’y croyons pas ?
La transgression moderne qui s'articule autour de notre refus de la mort, n’est-elle pas l’expression ultime de l’angoisse
métaphysique ?
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