1ER TOUR...ET APRES?

Il faut bien sûr essayer de tirer quelques leçons de ce premier tour de l’élection présidentielle cru 2022.

 

1. La première leçon qui s’impose tout d’abord de mon point de vue c’est la violence de la campagne et du débat politique. Si dans les mots François Mitterrand par exemple avait pu aller très loin - n’oublions pas quand même le titre de son livre le plus célèbre « le coup d’état permanent » - jamais alors le débat politique n’avait atteint le niveau de violence que l’on constate aujourd’hui. Les exemples abondent…
2. La seconde c'est l’effondrement des partis dits du gouvernement. Inutile d'y revenir. Je soulignerai le trait en insistant sur un fait qui à mon avis n’a pas été suffisamment souligné à savoir le score de Jean Lassalle dont on ne peut pas dire que la campagne avait atteint des niveaux exceptionnels de qualité et qui recueille plus de 3 % des voix talonnant presque la candidate des républicains et dépassant le candidat du parti communiste comme celle du parti socialiste. Avec un programme rudimentaire ce candidat sans moyens financiers importants et dont les dérapages ne méritaient pas d’être salués est quand même parvenu à rassembler plus d’1,1 millions de votes ! Voilà qui en dit long sur le niveau de la campagne...
3. Quel est le tableau du nouveau paysage politique français ? D’un côté une gauche révolutionnaire car le discours de Jean-Luc Mélenchon était révolutionnaire. D’un autre côté une droite dite nationale regroupant un camp social et un camp conservateur assez déséquilibrés auxquels on doit ajouter quelques candidats protestataires dont Nicolas Dupont Aignan et pourquoi pas Jean Lassalle. Et au milieu le centre du « en même temps », qui regroupe les deux frères siamois du socialisme et du libéralisme. Dès lors quoi de plus naturel que de constater que les cadres du parti des républicains regagnent progressivement le camp du président en marche et que quelques-uns d’entre eux seulement s’apprêtent, la question étant de savoir quand ?, à rejoindre la droite dite nationale.
4. Ce faisant, et ce sera la quatrième leçon, la France risque de devenir ingouvernable. Le centre ne peut pas préempter le pouvoir en permanence. La gauche révolutionnaire n’a pas pour ambition de gouverner mais de faire la révolution. La droite nationale est rejetée pour d’innombrables motifs et griefs dont ceux de l’intolérance, du racisme et de l’incompétence. Elle est repoussée à l’extérieur du cercle républicain ; jusqu’à quand ? L’exclusion de toute possibilité d’alternance en regroupant les seuls responsables susceptibles d’exercer le pouvoir au profit d’un parti incapable de recueillir à un premier tour plus d’un tiers des voix en sa faveur nous conduit à une situation explosive. Nous avons déjà vu durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron que la France était devenue quasiment ingouvernable avec le mouvement des gilets jaunes et la protestation contre la réforme des retraites. Cela ne pourra aller qu’en empirant. Le président l’a bien compris qui veut lancer un nouveau mouvement et de nouvelles façons de gouverner… Que d’efforts vient-il de déployer ce lundi dans le Nord pour essayer de faire croire qu’il allait changer! Chassez le naturel… Nous verrons cela s’il est élu. Pour le moment rien n’est fait.
5. Qu’adviendrait-il si Marine Le Pen gagnait cette élection ? Pourrait-elle recueillir une majorité à l’Assemblée nationale ? On peut le penser compte tenu des antécédents de la Ve République même si à n’en pas douter la rue sera très vite occupée et agitée, et l’on peut compter sur les forces d’extrême-gauche notamment de la France insoumise mais aussi sur les mouvements sociaux libertaires. Au-delà de cette protestation de la rue dont on ne sait pas les conséquences qu’elle pourrait avoir je vois un autre écueil dans l’hypothèse de son éventuel triomphe ; celui de l’État. L’État ne jouera pas le jeu. Ses fonctionnaires ne joueront pas le jeu. La Présidente élue n’aura pas les moyens de gouverner et de mettre en œuvre sa politique. Ceux-là ne feront pas passer l’intérêt de la France devant leurs prises de position personnelles. Nous irons donc au-devant de grandes déconvenues et a minima d’un bras de fer inédit depuis bien longtemps. Est-ce un argument pour ne pas la porter au pouvoir ? Je ne le pense pas dans la mesure où il faut cette épreuve de vérité. Nous devons savoir si oui ou non la France peut encore se réformer ou si au contraire nous n’avons plus que le choix de placer notre espérance dans un processus que la violence ci-dessus soulignée rendrait possible et provoquerait.
6. Dernière leçon dans l’hypothèse d’une victoire d’Emmanuel Macron les leaders des mouvements qui ont rassemblé près de 50 % de l’électorat à l’occasion du premier tour quitteront la scène. Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen sont objectivement de vrais chefs dotés de talents incontestables. Comment ne pas saluer les capacités oratoires du premier, son aptitude à mobiliser son auditoire et à le convaincre de le suivre ? La nature a horreur du vide, certes. Que peut nous réserver l’avenir alors que le pouvoir en place aurait besoin d’une opposition à la hauteur de circonstances certainement exceptionnelles ?

 

Ainsi donc, nous voici confrontés à de grandes incertitudes. Il fait gros temps sur la France. La mer se forme. Aurons-nous un capitaine capable de garder le cap si tant est qu’il fut capable de le définir ? Aurons notre Churchill qui disait qu'il "ne fallait jamais gâcher une bonne crise"?