La langue et l'écriture atteignent des sommets de perfection dans l'oeuvre de Georges Bernanos.
Le révérend père Bruckberger n'hésite pas à écrire que Bernanos
fut un génie de notre langue.
Il est vrai que pour ce dernier la plume était un
exercice exigeant : « Si le bon Dieu m’a mis une plume en main ce
n’est pas pour rigoler avec ! ».
Bernanos est un écrivain de l’absolu posté, aux bords du gouffre
du mal et de l’enfer ; il s’immerge dans le monde afin de se laisse pénétrer
par lui, de le ressentir, et de nous l’offrir après l’avoir passé au tamis de
sa sensibilité et de sa langue. Ses correspondances avec sa sœur au sujet de
son écriture expriment toute la douleur et la souffrance générées par ce qui pour
lui était un véritable accouchement ; une, deux ou trois pages par jour !
Il se dit engagé dans une œuvre de rédemption de la
langue. Ce sauvetage est crucial car il estime être confronté à une profanation
de la langue française par la « jactance ». Quoi de plus logique de
la part de cet écrivain hanté par le souci de la vérité ... On ne ment pas !
La littérature est menacée par le mensonge.
Mais cet effort ne se réduit pas à une préoccupation
purement linguistique. Derrière les mots se cachent la raison, le bien comme le
mal et la grâce... Il considère que « les mots sont un don de Dieu »
et qu’un mot, bien que sacré, ne peut pas se défendre tout seul. Il estime devoir
raccommoder les mots afin de soustraire la langue au démon. Il faut nommer le mal et arracher la langue
des mains du diable. Il y a chez lui un lien - un pont ? - entre le sauvetage
de la langue et le chemin vers la grâce.
Bernanos nous offre une œuvre rédemptrice dont l’objet
est de « rendre sensible le tragique mystère du salut ». (Interview
à Fréderic Lefèvre)
Il nous rappelle ainsi indirectement que les barbares sont structurés intellectuellement. Car comme le dit très bien Jean Biernbaum l’éducation ne protège pas de la barbarie, au contraire elle la rend plus efficace.
Ce qui est illustré par un passage de
L’ENFER de Dante au chant 27 rappelé par Madame Isidori de cette excellente table
ronde, dans lequel le diable dit à l’un des personnages étonnés par l’ingéniosité
dont il fait preuve : « Peut-être ne pensais-tu pas que j'étais
logicien ».
Cette exigence linguistique nous conduit ainsi à un point
capital. Dans l’IMPOSTURE on découvre par exemple l’abbé Cénabre qui est l’incarnation
de l’intelligence dépourvue de charité, corrompue par le manque de compassion,
de bienveillance ou de véritable amour envers les autres. L’intelligence
dépourvue de charité ! Ce parallèle met en lumière un thème récurrent dans
l'écriture de Bernanos, la tension entre l'intelligence, la foi et la charité. Cependant
ne nous trompons pas, Bernanos ne condamne pas l'intelligence ou la foi en
elles-mêmes, mais plutôt leur expression dépourvue de charité. Il explore le
fait que la foi devrait être vécue avec amour et empathie envers autrui, et que
l'intelligence devrait être mise au service de la charité plutôt que de servir
des intérêts personnels ou doctrinaux. On retrouve ainsi le « science
sans conscience n’est que ruine de l’âme » de Rabelais ainsi que de
nombreux élans et intuitions de Blaise Pascal.
Je dis que ce point est capital car notre époque est
submergée par l'intelligence toujours plus performante et technique de l'homme
en même temps qu'elle est vidée de toute préoccupation d'une charité
authentique et profondément chrétienne.
Les horreurs du 20e siècle nous ont déjà révélé tout ce
que l'intelligence humaine peut être capable de perpétrer et de commettre ;
comme la philosophe Simone Weil s'en faisait l'écho à propos de la guerre d’Espagne
dans une magnifique lettre à Bernanos suite à la lecture de son livre LES
GRANDS CIMETIERES SOUS LA LUNE.http://www.unnecessairemalentendu.com/archive/2010/09/02/lettre-de-simone-weil-a-georges-bernanos-1938.html
Nous pensons avoir dépassé ces horreurs. Pouvons-nous en être certains ? En écrivant ce billet je m'interrogeais sur ce que Bernanos aurait pu écrire à propos de la facilité et la bonne conscience avec lesquelles l'Occident entraîne le peuple ukrainien à ce faire massacrer dans une guerre au déclenchement de laquelle il n'est malheureusement pas totalement étranger... Quelle jactance là encore... sans aucun doute comparable à celle qui provoquait la colère de notre écrivain à la suite de la Première Guerre mondiale...
D’autre part que nous réserve la machine intelligente,
notre IA, avec ses avatars, que nous avons construite et à laquelle nous nous
soumettons ? Bernanos a mis le doigt sur ce problème majeur dans son essai LA
FRANCE CONTRE LES ROBOTS. Elle n'est effectivement pas animée par l'esprit de
charité....(A suivre...)
Au demeurant, cette « jactance » n’est peut pas sous-tendue par l’intelligence, même dépourvue de charité…
RépondreSupprimerEn tout cas, « l’honneur, la vérité et la liberté » ne me semblent pas caractériser le champ d’action de ceux (Politciens, marchands de canons, commentateurs hémiplégiques) se font une rente de situation de commenter, voire d’entretenir le malheur des autres…
CR