Nos gouvernants ont perdu l’habitude de garder leur cap … sauf lorsqu’il s’agit de sujets dits « sociétaux ». Rendons-leur ce « mérite » : quand ils le veulent – c’est devenu si rare ! - ils savent aller jusqu’au bout de leurs convictions, pour peu qu’elles servent l’idéologie individualiste du progrès. Et, dans le vide politique que nous connaissons, avec le projet de loi sur la fin de vie Emmanuel Macron leur offre aujourd’hui sur un plateau l’occasion d’inscrire dans le marbre républicain ce que beaucoup considèrent comme l’ultime conquête de l’homme moderne : le droit de disposer de la mort.
L’avortement avait ouvert la voie. Cependant, malgré l’hypocrisie ambiante, on débattait de la notion de personne humaine, de l’ambiguïté morale de ce geste, aussi violent fût-il. Le fœtus n’est « pas encore » quelqu’un — disaient-ils, même si, déjà, les Anciens nous avaient appris que la vie commence à la conception. Ils se voilaient la face.
Cette fois-ci ils s'abritent plus derrière la générosité, la volonté apparente de compassion, la dignité et l'ultime liberté. Il s'agit de graver
dans le marbre - demain de la constitution? - le droit de choisir sa mort — d’être aidé à se la donner, mais aussi de permettre aux autres de la décider pour les leurs. Guy Fischer parlait d’« une dernière liberté à
conquérir ». Le sénateur Fouché proposait d’inscrire que « la personne malade a
droit au respect de sa liberté et de sa dignité » … entendues comme
la possibilité de mourir.
Quelle est cette nouvelle « liberté » ? Que vaut la liberté d’un être écrasé par la douleur, isolé, désespéré ? Quelle est l'autonomie réelle de celui qui se croit de trop ? Il n’y a pas de demande de mort qui ne soit d’abord un cri de solitude. Quelle est cette façon d'aimer ? De quel dignité peut-il s'agir devant l'histoire ? Devant Socrate? Devant Notre Seigneur Jésus-Christ? Et tant d'autres…
Au lieu de se supprimer, la vraie liberté n'est-elle pas de consentir à vivre, même dans l’épreuve, en faisant en sorte de s'en détacher ou de l'offrir? Elle ne se réduit pas à un choix individuel : elle est la capacité d’entrer en vérité avec soi, les autres et Dieu. La "liberté de mourir dans la dignité", qui prétend s’affranchir de toute limite, ne nous éloigne-t-elle pas de ce qui fonde la dignité humaine en refusant notre condition de créature éphémère et souffrante qui fonde précisément notre liberté ?
Quant à l'amour, plutôt que d'accéder au désir suscité par le désespoir, n'est-il pas d'aimer si profondément le prochain souffrant qu'on l'entoure et qu'on épouse si bien sa souffrance que l'on finit par rendre le fardeau humainement supportable ?
Toutefois ce débat éthique est perdu d’avance, car il heurte l’intuition contemporaine selon laquelle il serait intolérable de ne pas pouvoir fuir la souffrance. Cette loi en gestation révèle le glissement profond d’une société qui ne veut plus aider l’homme à assumer sa condition, mais à s’en affranchir. Une société qui ne reconnaît plus la vocation humaine à la transcendance, mais célèbre la maîtrise sur la vie comme l’ultime émancipation. Le législateur moderne est fasciné et hypnotisé par ce tabou. Il va le renverser; rien ne l'en empêchera! Aucun argument ne l'en dissuadera.
Nous sommes au bout de la logique libérale : l’homme, devenu
son propre Dieu, décide de ce qui est bien ou mal. Ce débat n’est plus ni éthique ni juridique : il est spirituel; non pas religieux … il touche l'âme. Il oppose deux visions du monde.
D’un côté, une société sans Dieu, où tout est permis pourvu que cela vienne de
soi. De l’autre, une société qui reconnaît que la vie a été reçue, qu’elle nous
dépasse, qu’elle est inscrite dans un ordre où la liberté ne se comprend qu’en
lien avec le bien et la vérité.
Oui la vie est sacrée. Et c'est pour cela que l'homme ne
peut pas se résoudre, sous aucun prétexte, à l’apprivoiser, à se l’approprier.
Le seul débat est celui de savoir si oui ou non l'homme se fait Dieu, s'il
réitère le péché originel ou s'il s'en libère. Et il est vrai qu'avec les moyens de la science cette tentation est toujours plus forte.
Tout le reste n’est que littérature.
Même si nos soignants nous apportent le témoignage de la grandeur de leur engagement et de sa dignité, ils n'auront pas raison de cette volonté sourde, irrépressible, devenue triomphante que l'homme éprouve de se rendre définitivement maître de la vie et de la mort. C'est l'ultime accomplissement de la modernité!
Le seul « retour en arrière » - qui serait en
réalité le vrai progrès - serait de nous reconnaître enfants de Dieu et à l'image de son Fils d'accepter, de surmonter et d'offrir. Mais nous sommes trop évolués et maîtres de l'univers pour descendre de ce piédestal sur lequel nous nous sommes hissés et dont nous ne percevons ni la fragilité, ni la dangerosité.
C’est n'est pas pour rien que la doctrine chrétienne, en particulier celle
de saint Thomas d’Aquin, réaffirme que la liberté n’est pas la possibilité de
choisir le mal, mais la capacité de s’accomplir dans l’ordre du bien. Se donner
la mort n’est pas un acte libre, mais un renoncement à la vérité de notre
être.
Saint Augustin posait la question sans détour : « Celui qui
se tue n’est-il pas le meurtrier d’un homme ? » Et saint Thomas nous rappelle
que la vie est un don de Dieu, que Lui seul peut reprendre : « C’est moi qui
fais vivre et mourir » (Deut. 32, 39).
La loi qui se prépare ne va-t-elle pas consacrer l’ultime tentation : l’apostasie? Ne nous renvoie-t-elle pas au jardin d’Eden, devant l’arbre du bien et du mal. Sommes-nous comme des dieux ?
Et si cette réforme était l'heure de vérité du progressisme libéral?
En guise d'apologue je vous propose ce texte de Gustave Thibon:
"A tant de chrétiens modernes qui acclament sans réserve tous les progrès temporels comme les effets et les preuves de la vocation divine de l'homme, je voudrais poser cette question-limite qui départage à jamais les hommes de l'avenir et les hommes de l'éternité: si, du jour au lendemain, la science supprimait la mort, que penseriez-vous de ce " plan de Dieu sur l'histoire " qui perpétuerait indéfiniment la séparation entre l'homme et Dieu? Et surtout que choisiriez-vous? De profiter d'une découverte qui vous priverait pour jamais de la vision de celui que vous appelez votre Dieu ou bien de vous précipiter dans l'inconnu pour le rejoindre? Si vous optez pour la première branche de l'alternative, vous avouez que votre patrie est dans le temps et que votre Dieu n'est qu'une chanson de route dont se berce la fatigue d'une humanité en marche vers le Paradis terrestre. Et ce Dieu-là se rapproche singulièrement de la " dernière auberge " de Baudelaire, du " bouche-trou " de Nietzsche ou de " l'opium du peuple " de Marx. Mais si, gorgé de tous les biens et de toutes les sécurités d'ici-bas, vous pouvez dire avec saint Paul: cupio dissolvi et esse tecum, si vous désirez du fond de votre être voir Dieu, non plus dans le miroir de la création, mais face à face, alors vous êtes vraiment les disciples de Celui dont le Royaume n'est pas de ce monde et qui ne donne pas comme le monde donne".
Parfait ! Merci !!
RépondreSupprimerCher. Bernard, tout est dit : cette révolution anthropologique marquera (oserai-je écrire « marquerait ») la fin de notre civilisation.
RépondreSupprimerCeux qui prétendent ouvrir la porte à une nouvelle dignité sont des tartufes qui se cachent derrière des raisons éminemment économiques.
A preuve, ces demandes indécentes de la part des lobbyistes de la MGEN, suggérant aux députés de desserrer encore les conditions à remplir pour bénéficier de cette avancée fraternelle !
CR
J'ai de la difficulté à comprendre le texte cité de Gustave Thibon mais je relève une phrase à laquelle je peux apporter une confirmation, la voici:
RépondreSupprimer"que penseriez-vous de ce " plan de Dieu sur l'histoire " qui perpétuerait indéfiniment la séparation entre l'homme et Dieu?". Le Père Stanislas Lyonnet, exégète bien connu décédé en 1986 à Rome, comprenait ainsi le verset de le Genèse (3, 22): "Yahvé Dieu dit: Voilà que l'homme est devenu comme l'un de nous pour connaître le bien et le mal! (après avoir mangé du fruit de l'arbre défendu). Qu'il n'étende pas maintenant la main, ne cueille aussi de l'arbre de vie, n'en mange et ne vive pour toujours!" Manger de l'arbre de vie (i.e. de l'immortalité) aurait conféré à la séparation de l'homme d'avec Dieu, provoquée par le péché, un caractère irréversible. C'est pour éviter cette irréversibilité que Dieu poste un chérubin au glaive fulgurant fermant l'accès à l'arbre de vie (verset 24). Et c'est le Christ seul qui par son sacrifice ouvre à l'homme racheté l'accès à la vie éternelle.