dimanche 6 avril 2025

JUGEMENT LE PEN, ÉTAT DE DE DROIT, MORALISATION DE LA VUE PUBLIQUE:LE PEUPLE SOYS TUTELLE?

Faut-il protéger le peuple contre lui-même ?

Face au torrent de paroles sentencieuses qui a suivi la condamnation de Marine Le Pen, et au-delà de l’article que je vous ai déjà infligé sur le sujet, je voudrais vous livrer  quelques réflexions plus larges.


Dans son dernier éditorial de VA Tugdual Denis évoque un « hold-up ». Mais qui braque qui, au juste ?https://urlz.fr/unpS

Un concours Lépine de la démagogie

Avant toute chose, il faut souligner l’indécente abondance d’amalgames, d’approximations et de raccourcis idéologiques. À droite, à gauche, au centre : personne n’échappe à la tentation de tordre la réalité pour mieux servir son camp. Même Philippe de Villiers, vendredi soir, n’a pas résisté. Et que dire des « experts » improvisés qui commentent un jugement qu’ils n’ont pas lu, ou auquel ils ne comprennent goutte ?

Deux éditorialistes sont selon moi sortis du lot : Jean-Marie Rouart qui a le mérite de globaliser les problèmes posés par la justice en France, en dénonçant une justice politiquement orientée.https://urlz.fr/unpT Henri Guaino qui pour sa part met le doigt sur les risques liés au subjectivisme judicaire auxquels nous expose le décalage entre les mots du droit et les attentes du peuple. Car "malgré les procédures, la collégialité, la multiplication des degrés de juridiction et des recours, toute décision de justice a sa part de subjectivité puisque la justice est humaine et qu’il faut qu’elle le reste".https://urlz.fr/unpU

La difficulté me semble être de ne pas confondre le débat sur la décision, le gouvernement des juges et les dérives de l’état de droit ; tant il est vrai qu’il semble de plus en plus difficile de penser que de juger.

Ni jugeophobie, ni angélisme

Je ne suis ni un zélateur de l’État de droit, ni un contempteur systématique de la magistrature. Je critique régulièrement le corporatisme du Syndicat de la magistrature, l’exaspérante lenteur de nos juridictions, ou l’injustice criante de certaines décisions. Mais je récuse tout autant les manichéismes hystériques, nourris par des réseaux sociaux où la nuance meurt sous les coups de la rage algorithmique et idéologique.

Alors, faut-il encenser ou crucifier les juges du procès Le Pen ? Ni l’un ni l’autre. Ils ont jugé dans le cadre de leur saisine, sur la base de textes qu’ils n’ont pas écrits, et dans un climat idéologique où la morale remplace trop souvent le droit. Ont-ils fait preuve d’un parti pris ? Non. Ont-ils été sévères ? Indéniablement. Mais ce jugement n’est pas un "monstre judiciaire", contrairement à ce que hurlent les apôtres de la lutte contre la bien-pensance. Jean-François Coppé l'a très justement dit aujourd'hui sur Cnews et Europe 1.https://urlz.fr/unpX

Une justice devenue acteur moralisateur de la politique

Sans commettre d'erreurs grossières sur l'analyse technique du jugement il n'est pas interdit, sans amalgame, de s'interroger sur ce qu’il révèle dans le fond: une mue de l’autorité judiciaire en grand moralisateur de la vie politique.

Les lois qui permettent de condamner un élu pour des faits anciens ou de prononcer une inéligibilité avec exécution provisoire, ont été voulues pour "moraliser" la vie publique atteinte par le vice de la prévarication. Elles sont nées d’un constat : les partis ne faisaient pas le ménage chez eux. Le législateur a donc sorti le Kärcher juridique. Or cela fait des dégâts...

A-t-on réellement assaini la vie politique ? Pas vraiment. La corruption a-t-elle disparu ? La gouvernance ne s’est pas améliorée. La morale ? Elle s’est dissoute dans l’impuissance. Et pendant ce temps, le pays, lui, s’enfonce.

Gouverner ou être vertueux ?

Une question dérangeante émerge alors : vaut-il mieux un homme d’État efficace mais moralement douteux, ou un dirigeant honnête mais incapable ?

Mazarin, par exemple, fut un génie politique, indispensable à la stabilité du royaume. Mais aussi un prédateur sans scrupules, qui s’enrichit personnellement comme peu d’autres. Devait-on s’en passer ? Je ne le crois pas. On pourrait citer Talleyrand. Ou plus récemment François Fillon. Malgré ses affaires, n’aurait-il pas été un meilleur président qu’Emmanuel Macron ? La vertu proclamée est-elle garante de compétence ? Poser la question, c’est déjà y répondre.

Le suffrage sous contrôle

Au-delà ce jugement fait surgir une autre interrogation : Où s’arrête la souveraineté populaire ? Où commence le gouvernement des juges ?

C’est tout l’enjeu de la décision du tribunal de Paris d’assortir l’inéligibilité de Marine Le Pen de l’exécution provisoire. Le jugement dit ceci :

« Le trouble majeur à l’ordre public démocratique serait de voir candidat, voire élu, un individu condamné en première instance pour détournement de fonds publics. »

Autrement dit : mieux vaudrait empêcher un citoyen de se présenter avant que sa condamnation ne soit définitive, "au cas où". L’intention est-elle louable ? Mais le sous-texte est glaçant : le peuple serait incapable de discerner le bon du mauvais, le vertueux du corrompu. Il faudrait donc le protéger de lui-même, comme on protège un enfant ou un irresponsable.

Ce glissement est dangereux. Et il n’est pas le fait des seuls juges : ils n’ont fait qu’appliquer les textes. Mais ces textes les poussent à faire de la politique. A affaire politique, jugement politique. Et c’est bien là tout le problème.

Marine Le Pen a eu raison de dire que son jugement était politique mais pas d’affirmer qu’il n’était pas une décision de justice.

Trois niveaux de lecture

Il faut me semble-t-il distinguer trois niveaux d’analyse.

Premier niveau : le juge.
A-t-il respecté les critères que la loi lui impose ? Peut-on considérer que la notion de "trouble à l’ordre public démocratique" constitue un fondement juridique solide ? Rien n’est moins sûr. La durée d’inéligibilité, par exemple, relève de l’appréciation souveraine de la formation de jugement. Le problème ici n’est pas tant la décision que la zone grise dans laquelle elle s’inscrit. Ce faisant les juges ont rendu une décision politique par son objet comme par ses effets. Mais les textes conduisaient le Tribunal à mettre les mains dans la politique. Tant sur la culpabilité que sur les peines à appliquer car l’inéligibilité est politique, et encore plus l’exécution provisoire. A affaire politique, jugement politique ! D’où le caractère injustifié des critiques que je dénonce. Si on peut contester leur sévérité ce n’est pas à eux qu’il faut reprocher d’avoir fait de la politique. Et c’est souvent le cas... Le vrai problème est celui de l’instrumentalisation de la justice par le pouvoir politique, sans oublier celui du parti pris idéologique d’une minorité agissante des magistrats.

Deuxième niveau : le législateur.
Faut-il vraiment que des juges puissent décider seuls de qui a le droit de se présenter à une élection ? Cela ne relève-t-il pas du choix souverain du peuple ? Ce débat n’est pas juridique : il est institutionnel. Et dans le cadre républicain, il ne peut y avoir qu’une seule réponse : le dernier mot revient au peuple.

Troisième niveau : l’histoire.
Ce jugement sera relu à la lumière du temps, mis en perspective avec d’autres signes de la désagrégation de notre système politique. Responsabilité des juges ? Du législateur ? Du gouvernement ? L’historien tranchera. Mais une chose est sûre : cette décision laissera des traces. Comme me l’écrivait récemment un lecteur fidèle, il est temps de refonder la justice dont cette affaire démontre qu’elle est dévoyée. La justice doit être rendue pour le peuple. Ce sera le débat fondamental de demain.

Conclusion : un peuple sous tutelle ?

J’ai commencé en affirmant qu’il ne faut pas confondre le débat sur les décisions rendues, le gouvernement des juges et les dérives de l’état de droit .

Il faut distinguer l’État de droit, qui garantit la justice, du gouvernement des juges, qui la confisquerait. Le premier protège la souveraineté populaire. Le second l’étouffe, lentement mais sûrement. La critique des décisions quant à elle doit se faire dans le cadre judiciaire et de toute façon par des professionnels.

Il faut rouvrir plus que jamais le débat : qui doit décider en dernier ressort du destin politique d’un pays ? Des juges, ou des électeurs ?

À force de vouloir moraliser la vie politique, on finit par la dévitaliser. Et à force de vouloir protéger le peuple contre lui-même, on finit par trahir la démocratie. Le pouvoir exercé par le peuple, pour le peuple ne peut survivre à cette dérive où le droit devient l’instrument d’un pouvoir qui a perdu la boussole de Thémis.

Il est temps de cesser d’user et d’abuser de la moraline et de recentrer le droit sur la justice; de refonder l’institution judiciaire — non comme un pouvoir - mais comme une autorité, au service du peuple et de sa légitime soif de justice.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Commentez cet article et choisissez "Nom/URL" ou Anonyme selon que vous souhaitez signer ou non votre commentaire.
Si vous choisissez de signer votre commentaire, choisissez Nom/URL. Seul le nom est un champ obligatoire.

Retrouvez mes anciens articles sur mon ancien blog

Error loading feed.