Une fois n'est pas coutume… J'étais sous l'assommoir du journal télévisé lorsqu'un rayon de soleil apparut : Un reportage intéressant, à contre-courant, à propos d’une réaction saine et vivifiante du corps social !
Connaissez-vous l'opération Phénix[1] ? Quelques grandes entreprises comme L'Oréal ou la HSBC et des universités y proposent de recruter à des postes habituellement proposés à des diplômés des grandes écoles, des littéraires ou diplômés en sciences humaines.
Pourquoi est-ce un succès?
Les littéraires sont appréciés pour leur capacité d'imagination et leur esprit critique, pour leur aptitude à toucher et comprendre les autres dans leur vie. Dans un monde de chiffres, sous le règne du tout économique, voilà une reconnaissance pratique du rôle, des bienfaits et de la pertinence de la culture, de la littérature, de ce qui n'est pas quantifiable, de ce qui ne relève pas de l’avoir. Nous sommes bien à contre-courant… Jacqueline de Romilly et Gustave Thibon, pour ne citer qu’eux – ils viennent l’un et l’autre de faire l’objet d’éditions posthumes ces derniers jours- eux qui n’ont pas leur statue sur les frontispices des écoles de commerce, redeviendraient-ils à la mode ?
Je venais par hasard de lire le dernier livre de Jacqueline de Romilly « ce que je crois »[2]-il s'agit de l'édition d'un grand texte écrit en 1974 qu'elle n'avait jamais publié- dont j'avais considéré à tort qu'il s'agissait d'une sorte de chant du cygne. Un brin de désespérance m'avait envahi…. En décalage apparent avec notre époque la célèbre académicienne affirme la primauté de l'éducation sur l'enseignement et l'importance essentielle de la littérature dans la formation. « Je crois que la littérature est le lieu où se fonde le mieux la communication », et un peu plus loin «elle fait éclater les limites imposées à l'homme ». Passéiste, dépassé, d’une autre époque, ringard ! Eh bien non ! Simple et pertinente affirmation de l'importance de la lecture parce qu'elle est une action et de l'écriture parce qu'elle est le garant de la précision intellectuelle ! Credo dont l’opération Phénix vient nous rappeler toute l’actualité.
La formation ne se résout pas, ne se réduit pas au simple enseignement, à une accumulation de savoir. Elle est d'abord une éducation. Elle doit dépasser le prisme de l’avoir pour se soumettre aux exigences de l’être…Ce qui signifie qu’il faut sortir de l'illusion scientiste déjà décriée par Victor Hugo « l'exact pris pour le vrai ! ». Comme le rappelle le philosophe Gustave Thibon dans un autre livre publié post-mortem « les hommes de l'éternel »[3], il s’agit de revenir à des formations permettant à l'homme d'ouvrir des champs nouveaux, d'être capable de poser, et de se poser, des questions, de retrouver le chemin de la sagesse tracé par Socrate avec son «je sais que je ne sais rien », de ne pas s'éparpiller dans l'accumulation des connaissances. Car comme le dit la sagesse populaire : qui trop embrasse mal étreint.
Il y a donc de l'avenir pour les sciences humaines, pour la littérature, pour une éducation au plein sens du terme, pour un retour à des bases que le tremblement de terre de 1968 n’a finalement pas ébranlées. C’est la voie du goût de l'interrogation, de la recherche, de l'inconnu, de la curiosité intellectuelle, de l’imagination, du spirituel.
L’opération Phénix nous donne une leçon de vie, lourde de sens, et porteuse d’avenir ! Elle nous conduit à réaliser que nous n’avons pas tout inventé et que le passé n’est pas nécessairement obsolète au nom du mythe du progrès. Si nous renaissions de nos cendres ?
[1] http://www.operationphenix.fr/
[2] http://www.amazon.fr/Ce-que-crois-Jacqueline-Romilly
[3] http://www.amazon.fr/Les-hommes-l%C3%A9ternel-Conf%C3%A9rences-1940-1985
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