Jean-Luc Mélenchon vient de faire scandale pour avoir
affirmé que la rue avait fait reculer le nazisme. Il s’est immédiatement attiré
les foudres de la bien-pensance. Ce n’est pas cette transgression qui m’intéresse,
d’autant plus que son propos n’était apparemment pas celui que lui a prêté la
police de la pensée… Il y a une transgression beaucoup plus profonde, politique
et essentielle qui devrait nous interpeller, et dont on fait bien peu de cas
dans la presse.
Jean-Luc Mélenchon a décidé de s’engager dans une entreprise
révolutionnaire. Il a pris le parti de rejeter la nouvelle alternative proposée
par le président Emmanuel Macron entre progressistes et conservateurs et de
soutenir la dialectique de la lutte des classes. Même s’il se situe toujours officiellement
et formellement dans la perspective d’un changement par les élections, sa
démarche, son appel au peuple, sa harangue sur le dégagisme, son invitation à
la résistance et à la manifestation, son appel au peuple et à la rue, constituent
une démarche révolutionnaire.
De toute la classe politique, à l’exception des marginaux de
Lutte Ouvrère qui le soutiendront…, il est au fond le dernier des trotskistes à
l’être resté et à mettre en œuvre la praxis marxiste. Les autres sont rentrés
dans le rang, pour se calfeutrer dans les ors de la République et céder aux
sirènes de la réussite sociale. Lui, est resté trotskiste et révolutionnaire.
Je vous renvoie à l’excellente analyse de Thierry Wolton dans les colonnes du
Figaro[1].
Réussira-t-il son pari ? C’est la question. Et elle se pose,
car le contexte économique, social et politique s’y prête.
Son discours de samedi dernier était d’une grande puissance
oratoire, comme d’habitude. Jean-Luc Mélenchon a décidé d’utiliser tous les
leviers de l’exploitation du peuple dans une logique dialectique, typiquement
marxiste. Ecoutez-le[2].
Il a manifestement aussi décidé de faire naître un mouvement populaire auquel
il cache les extrémités auxquelles il est prêt à l’entraîner pour parvenir à leurs
fins. Sa logique est d’abord de faire adhérer aux but, puis de créer une
dynamique grâce à toutes les opportunités que l’actualité lui offrira, pour
ensuite, si il n’obtenait pas satisfaction, aller toujours plus loin jusqu’au
moment où il deviendra nécessaire de mettre en œuvre le processus révolutionnaire,
la rupture. C’est sa stratégie. Il ne veut pas attendre des élections dont il
sait qu’elles ne le porteront jamais au pouvoir. Féru d’histoire, il n’hésitera
pas aussi à se situer dans les perspectives des grands mouvements du passé,
jusqu’à y compris s’il le faut celui de la révolution soviétique en 1917 dont
il a décidé de s’inspirer. Car il sait, grâce à sa grande culture historique et
politique, que les mouvements révolutionnaires ne sont jamais nés de l’action
de majorités mais au contraire de minorités agissantes. Et il joue sur du
velours, parce que nul ne le prend au sérieux, ni ne s’en inquiète. Nous
semblons avoir oublié que c’est au nom de la démocratie que tous les mouvements
révolutionnaires se sont imposés, et ont perpétré les pires horreurs…
Personne ne s’inquiète véritablement du fait que non plus à
mots couverts, mais de manière explicite, ce tribun efficace, capable d’entraîner
les foules avec un talent que tout le monde lui reconnaît, en appelle au peuple
contre la démocratie. Il conteste explicitement le droit à un pouvoir démocratiquement
élu de mettre en place l’une des réformes phares pour lesquelles il a été élu.
Et il déclare qu’il ira jusqu’au bout. Il appelle le peuple à aller jusqu’aux
extrémités qui seront nécessaires pour faire reculer ce pouvoir. Un pouvoir qu’il
traite en adversaire et non pas en concurrent, le discréditant à l’avance en l’accusant
de violence dans ses actes, dans ses lois et dans sa politique. Il se place sur
le terrain de la légitimité et justifie d’avance les attaques de plus en plus
violentes qu’il lui lancera.
Personne ne le prend au sérieux considérant qu’il ne
représente que quelques pourcentages de voix réunies aux dernières élections,
qu’il n’a pas la capacité de réunir autour de lui une majorité susceptible de l’emporter
à des élections à venir. Mais à l’inverse du Front National tout aussi isolé
que lui sur le plan politique, il en appelle pour sa part, fort de la
légitimité récurrente de la gauche et du peuple en proie à son exploitation, à
mettre en œuvre tous les moyens, y compris les moins démocratiques, pour
parvenir à ses fins.
La dernière question qui se pose est celle de savoir s’il
sera capable de faire naître un mouvement révolutionnaire susceptible de
renverser le pouvoir en place et de quelle manière il pourrait y parvenir. Les
semaines et les mois à venir nous le diront. Mais il est essentiel d’analyser
ses discours et ce qui va se passer dans les semaines et les mois en fonction
de cette grille d’analyse. Pour lui, la défense du peuple face à l’exploitation
dont il est la victime passe avant la logique démocratique des élections. Mais
pire, fidèle à la doctrine de ses glorieux inspirateurs, il place la révolution
au-dessus du peuple qu’il sera prêt à sacrifier le moment venu. Staline a écrit : « Pour le
réformisme la réforme est tout… pour le révolutionnaire, au contraire, le
principal c’est le travail révolutionnaire et non la réforme. Pour lui la
réforme n’est que le produit accessoire de la révolution. C’est pourquoi, avec
la tactique révolutionnaire, dans les conditions d’existence du pouvoir
bourgeois, une réforme devient naturellement un instrument de désagrégation de
ce pouvoir, un instrument de renforcement de la révolution, un point d’appui
pour le développement continu du mouvement révolutionnaire »[3].
Jean Ousset concluait son analyse sur ce point en écrivant à propos du marxisme
: « Il n’est donc pas d’erreur plus grossière à son endroit que de croire qu’il
s’est donné pour but un certain mode d’organisation sociale qui, une foie
atteint, rendrait inutile, par sa perfection même, l’action révolutionnaire, et
permettrait, dès lors, une sorte de repos, de calme, sinon d’arrêt »[4].
Aujourd’hui encore Jean-Luc Mélenchon se situe donc toujours
en apparence dans la perspective des élections, son dernier discours s’est
conclu par cette affirmation qu’au bout de la rue il y a les élections, nul
doute que s’il n’y a pas d’élections à très court terme, ce dont il accusera le
pouvoir, il fera tout pour préparer le grand soir !
[1]http://www.lefigaro.fr/vox/histoire/2017/09/22/31005-20170922ARTFIG00274-thierry-wolton-8216revolution-communiste-est-un-oxymore-que-nos-intellectuels-ont-venere.php
[2] https://www.youtube.com/watch?v=s5WAovlHZtA
[3] Staline : Des principes du
Léninisme page 100
[4] Jean Ousset, marxisme et
révolution, collection Montalza, p.109
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