Cet été je fais du tourisme,
comme beaucoup d’entre nous. J’ai donc visité, admiré, pris des photos, envoyé
des cartes postales, même si je n’ai pas cédé aux « selfies » ou à la
mise en ligne sur Facebook je me suis comporté conformément à la norme.
J’ai aimé l’explosion
architecturale de la région des Pouilles en Italie, legs vivant du passé dans
un avenir toujours imprégné de sa richesse. Je suis resté muet devant ces
oliviers millénaires qui produisent encore leurs succulentes olives, plantés
avec précision et rigueur par des hommes sur lesquels le poids du temps semble
rétrospectivement n’avoir pas eu de prise ; ils étaient les contemporains de
ceux qui construisirent nos cathédrales… J’ai tenté de m’imprégner de cette
alchimie mystérieuse que peut produire la création artistique, architecturale économique
et culturale de l’homme.
Au même moment j’ai lu avec
un peu de stupéfaction le reportage du Figaro-Magazine sur l’invasion dont la
ville de Venise est l’objet et l’ampleur qu’elle prend, en même temps que j’ai
lu que les fresques de Michel-Ange sur la Chapelle Sixtine malgré leur
restauration sont en péril à cause du nombre de visiteurs et de l’impact de
leur présence sur les peintures.
Ne serions-nous capables
plus que de regarder, même en admirant, et surtout en nous exposant, en nous
mettant en scène ?
Quel est notre état d’esprit
lorsque nous visitons un château fort, une église romane, une cathédrale, ou
une galerie de peinture du XVIIe siècle ? Nous visitons en prenant des photos
que nous ne regarderons sans doute pas et qui ne présentent d’intérêt à travers
les publications que nous en faisons afin de manifester au monde de nos amis où
nous étions et ce que nous faisions. Nous considérons comme folles ou dérisoires les raisons de
pareilles créations qui nous apparaissent aussi grandioses qu’absurdes…
Nous qui vivons dans un
monde où la création est éphémère, qui jetons tout ce que nous achetons, qui ne
construisons pas pour nous-mêmes, qui ne plantons que des arbres déjà
centenaires pour n’avoir pas à attendre qu’ils poussent, nous qui vivons dans
le monde de l’immédiateté, de la rapidité et du superficiel !
De retour à la vie normale,
comme une provocation, j’ai écouté l’une des dernières émissions « Répliques »
d’Alain Finkelkraut sur France Culture dont le thème était Charles Péguy poète, journaliste et philosophe. Entretien
qui m’a plongé dans la relecture de Pierre Manent qui écrivait ceci :
« Les générations modernes … au lieu d’éprouver le désir
d’imiter les grandes entreprises du passé, le désir de créer, sont heureuses et
soulagées de ne pas avoir à se dépasser … ‘Jadis, tout le monde était fou,
diront les plus malins … On saura tout ce qui s’est passé jadis ; ainsi
l’on aura de quoi se gausser sans fin’ … La dernière génération, simplement
parce qu’elle est la dernière, regarde vers celles qui l’ont précédée en
éprouvant un sentiment de supériorité radicale … qui la stérilise et l’empêche de
rien créer à son tour … Nietzsche discerne que le sentiment de supériorité de
l’homme moderne … produit la disposition de l’âme la plus plate, celle du
touriste. La vérité effective de la religion de l’humanité, c’est le
tourisme. » (Pierre Manent – reprenant et
citant Nietzsche).
Regardons-nous le passé en
étant étrangers aux motifs qui ont poussé les hommes à se lancer dans les
aventures les plus folles et les plus déraisonnables aux yeux des êtres matérialistes
et consuméristes que nous sommes devenus ?
Au fond, et c’est je crois
la pensée de Charles Péguy, comme celle de Frédéric Nietzsche, nous admirons
les richesses du passé avec distance et condescendance ; considérant avoir
dépassé le stade pour nous retardé d’une humanité qui pensait d’abord à durer
et à transmettre. Nous nous épanouissons dans l’éphémère et le virtuel. Nous ne
voulons pas être prisonniers de ce qui dure. « Tenir nos places »
comme disait Peguy, nous fait horreur. Il faut bouger, changer, progresser,
avancer…
Paradoxe - mais en est-ce vraiment un
?- nous sommes la génération des musées, des fouilles, de la préservation du
patrimoine ; alors que les générations précédentes n’hésitaient pas à
démolir pour reconstruire.
Quant au tourisme, pour
revenir à lui, il manifeste une boulimie de la découverte, de la curiosité mais
aussi de la fuite, de la recherche d’une forme de liberté jamais aboutie, de la
consommation. Il est contradictoire avec l’enracinement et la transmission. Ce
n’est pas en passant sa vie à regarder et à admirer ce qui a été fait que l’on
peut construire l’avenir ni donner les moyens aux générations suivantes de le
bâtir !
Or, en ces temps difficiles,
nous avons besoin précisément de racines vivantes et d’identifier les
permanences du monde dont les générations futures auront besoin pour y tracer
leur route de manière pleinement épanouissante.
A l’heure où à force de développement nous créons un monde artificiel de plus en plus déconnecté de la réalité, y compris en ignorant les exigences de la nature, nous avons pourtant besoin de nous enraciner et de tenir nos places en étant présents dans le quotidien
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Commentez cet article et choisissez "Nom/URL" ou Anonyme selon que vous souhaitez signer ou non votre commentaire.
Si vous choisissez de signer votre commentaire, choisissez Nom/URL. Seul le nom est un champ obligatoire.