dimanche 10 septembre 2017

TOURISME ET PERMANENCES

Cet été je fais du tourisme, comme beaucoup d’entre nous. J’ai donc visité, admiré, pris des photos, envoyé des cartes postales, même si je n’ai pas cédé aux « selfies » ou à la mise en ligne sur Facebook je me suis comporté conformément à la norme.

J’ai aimé l’explosion architecturale de la région des Pouilles en Italie, legs vivant du passé dans un avenir toujours imprégné de sa richesse. Je suis resté muet devant ces oliviers millénaires qui produisent encore leurs succulentes olives, plantés avec précision et rigueur par des hommes sur lesquels le poids du temps semble rétrospectivement n’avoir pas eu de prise ; ils étaient les contemporains de ceux qui construisirent nos cathédrales… J’ai tenté de m’imprégner de cette alchimie mystérieuse que peut produire la création artistique, architecturale économique et culturale de l’homme.

Au même moment j’ai lu avec un peu de stupéfaction le reportage du Figaro-Magazine sur l’invasion dont la ville de Venise est l’objet et l’ampleur qu’elle prend, en même temps que j’ai lu que les fresques de Michel-Ange sur la Chapelle Sixtine malgré leur restauration sont en péril à cause du nombre de visiteurs et de l’impact de leur présence sur les peintures.

Ne serions-nous capables plus que de regarder, même en admirant, et surtout en nous exposant, en nous mettant en scène ?

Quel est notre état d’esprit lorsque nous visitons un château fort, une église romane, une cathédrale, ou une galerie de peinture du XVIIe siècle ? Nous visitons en prenant des photos que nous ne regarderons sans doute pas et qui ne présentent d’intérêt à travers les publications que nous en faisons afin de manifester au monde de nos amis où nous étions et ce que nous faisions. Nous considérons  comme folles ou dérisoires les raisons de pareilles créations qui nous apparaissent aussi grandioses qu’absurdes…  

Nous qui vivons dans un monde où la création est éphémère, qui jetons tout ce que nous achetons, qui ne construisons pas pour nous-mêmes, qui ne plantons que des arbres déjà centenaires pour n’avoir pas à attendre qu’ils poussent, nous qui vivons dans le monde de l’immédiateté, de la rapidité et du superficiel !

De retour à la vie normale, comme une provocation, j’ai écouté l’une des dernières émissions « Répliques » d’Alain Finkelkraut sur France Culture dont le thème était Charles Péguy poète, journaliste et philosophe. Entretien qui m’a plongé dans la relecture de Pierre Manent qui écrivait ceci :

 « Les générations modernes … au lieu d’éprouver le désir d’imiter les grandes entreprises du passé, le désir de créer, sont heureuses et soulagées de ne pas avoir à se dépasser … ‘Jadis, tout le monde était fou, diront les plus malins … On saura tout ce qui s’est passé jadis ; ainsi l’on aura de quoi se gausser sans fin’ … La dernière génération, simplement parce qu’elle est la dernière, regarde vers celles qui l’ont précédée en éprouvant un sentiment de supériorité radicale … qui la stérilise et l’empêche de rien créer à son tour … Nietzsche discerne que le sentiment de supériorité de l’homme moderne … produit la disposition de l’âme la plus plate, celle du touriste. La vérité effective de la religion de l’humanité, c’est le tourisme. » (Pierre Manent – reprenant et citant Nietzsche).

Regardons-nous le passé en étant étrangers aux motifs qui ont poussé les hommes à se lancer dans les aventures les plus folles et les plus déraisonnables aux yeux des êtres matérialistes et consuméristes que nous sommes devenus ?

Au fond, et c’est je crois la pensée de Charles Péguy, comme celle de Frédéric Nietzsche, nous admirons les richesses du passé avec distance et condescendance ; considérant avoir dépassé le stade pour nous retardé d’une humanité qui pensait d’abord à durer et à transmettre. Nous nous épanouissons dans l’éphémère et le virtuel. Nous ne voulons pas être prisonniers de ce qui dure. « Tenir nos places » comme disait Peguy, nous fait horreur. Il faut bouger, changer, progresser, avancer…

Paradoxe - mais en est-ce vraiment un ?- nous sommes la génération des musées, des fouilles, de la préservation du patrimoine ; alors que les générations précédentes n’hésitaient pas à démolir pour reconstruire.

Quant au tourisme, pour revenir à lui, il manifeste une boulimie de la découverte, de la curiosité mais aussi de la fuite, de la recherche d’une forme de liberté jamais aboutie, de la consommation. Il est contradictoire avec l’enracinement et la transmission. Ce n’est pas en passant sa vie à regarder et à admirer ce qui a été fait que l’on peut construire l’avenir ni donner les moyens aux générations suivantes de le bâtir !

Or, en ces temps difficiles, nous avons besoin précisément de racines vivantes et d’identifier les permanences du monde dont les générations futures auront besoin pour y tracer leur route de manière pleinement épanouissante.

A l’heure où à force de développement nous créons un monde artificiel de plus en plus déconnecté de la réalité, y compris en ignorant les exigences de la nature, nous avons pourtant besoin de nous enraciner et de tenir nos places en étant présents dans le quotidien 

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