dimanche 22 octobre 2017

OCTOBRE 17



En ce mois d’octobre 2017, je suis interpelé par la conjonction de trois actualités.

L’Europe s’engage dans un processus de libéralisation économique dont la France est l’éclatant exemple ; nos systèmes sociaux-démocrates font le lit du libéralisme économique. Le socialisme met en œuvre les principes d’une doctrine dont il est le pur produit. Emmanuel Macron qui, qu’on le veuille ou non, demeure une émanation de la gauche, nous en donne l’illustration avec la mise en œuvre de sa politique.

Nous célébrons, avec des pincettes, et beaucoup de distances, le centenaire de la révolution d’octobre 1917. Le communisme nous gêne. Il nous embarrasse. Il est vrai que nos élites ont fricoté avec lui pendant toute leur jeunesse… Comme si nous étions incapables de dire la vérité à son sujet. Les millions de morts. La dialectique marxiste. Une conception de la politique qui est celle de la violence institutionnalisée dans un climat de guerre civile. La volonté d’éliminer une partie de la population dans le cadre de plans organisés que nous nous refusons à qualifier de la même manière que le nazisme, mais dont la nature lui est fondamentalement commune. Nous sommes incapables de tirer les leçons de l’histoire.  Nous refusons ainsi de voir que « le système soviétique se définissait lui-même, bien avant la communauté européenne, en termes de construction du communisme et non de régimes politiques ou constitutionnels »[1].

Le congrès du parti communiste chinois enfin, qui proclame à la face du monde entier, comme un défi, le fonctionnement totalitaire de sa démocratie populaire, comme aux plus sombres jours du communisme soviétique ou maoïste. Là-bas, rien  n’a changé. Et nous regardons l’empire du Levant avec les yeux de Chimène, pour faire notre marché, nous enrichir, faire de la réalpolitique… Nous refusons d’ouvrir les yeux sur les horreurs de ce régime ; incapables de les dénoncer; si ce n’est pour la galerie, entre nous, tout en allant lui faire des courbettes. Le plus inquiétant est que nous ne nous rendons pas compte de l’existence d’un « processus historique de fusion de ces deux entreprises d’occidentalisation du monde qu’ont été le capitalisme et le communisme »[2].

Cette conjonction me remet en mémoire l’une des conclusions d’Alain Supiot dans son livre l’esprit de Philadelphie sous-titré « la justice sociale face au marché total » dans laquelle il s’interroge sur la notion d’interdits. Voici ce qu’il écrit : « l’interdit c’est ce qui permet aux hommes de se parler plutôt que de s’entre-tuer. Liquider toute espèce d’interdits au nom de la liberté économique ne peut engendrer que l’écrasement du faible par le fort et ouvrir les mannes de la violence ».

Cela me rappelle également cette phrase d’Ernst Junger qui pour désigner un mode d’organisation fondé sur la mobilisation de toutes les ressources humaines, techniques et naturelles –celui de la guerre de 1914-1918- dénonçait le fait « d’être en mesure, 24 heures sur 24, d’envoyer les hommes au front où un processus sanglant de consommation jouait le rôle du marché ».

Voilà qui peut nous faire penser au fonctionnement de la république populaire de Chine…. Du coup, notre attitude vis-à-vis de ce régime, notre trahison par rapport à nos grands principes universaux, nos lâches abandons sous prétexte de réalisme politique et économique, me convainquent que la conclusion d’Alain Supiot est malheureusement d’une très grande justesse et actualité. Nous sommes en train d’organiser un monde sans droit ni justice ; un monde de normes destinées à permettre à notre économie de fonctionner de la manière la plus performante possible. Un monde performant, efficace, compétitif, réaliste. Un monde de robots. Comme les Chinois.

La Chine s’est éveillée au libéralisme économique sans rien perdre de son communisme. De notre côté, nous nous ouvrons  au même libéralisme économique, en développant nos règles et nos normes destinées à en imposer le bon fonctionnement, tout en nous gargarisant de notre logorrhée démocratique et de notre libéralisme sociétal.

Qui a une stratégie ? La Chine ou l’Europe ?

Drôle de conjonction !

Pendant ce temps, l’Europe se fissure, comme le démontrent les événements catalans, après bien d’autres comme le bréxit ou nos désaccords avec les nations d’Europe centrale, et avant de nouvelles secousses qui ne manqueront pas de survenir, tant nos peuples sont conscients des risques auxquels nos gouvernants nous exposent sans être en parallèle capables de nous protéger par rapport aux menaces identitaires et religieuses qui frappent à nos portes…

Nous avons besoin d’une politique qui se nourrisse des leçons de l’histoire et ne se contente pas de surfer sur la vague de la conjoncture !


[1] Alain Supiot. L'esprit de Philadelphie. Seuil, page 39
[2] Alain Supiot, op. cit., page 40

2 commentaires:

  1. François Barry Delongchamps25 octobre 2017 à 10:17

    Je trouve cette réflexion tellement juste que je l ai publiée sur ma page Facebook. J'y retrouve une grande partie de ce que j 'ai toujours éprouvé, avec une certaine expérience de la vie internationale.

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