Et après ?
Pour l’heure nous sommes lancés dans une course contre la montre afin de sortir au mieux et au plus vite de cette épidémie. Cela ne nous affranchit pas pour autant de la nécessité de réfléchir sans attendre sur les leçons à tirer pour « après ».
Un intéressant dossier sur le « monde d’après » selon les philosophes pose le problème en ces termes : « Le monde d’après symbolise avant tout notre capacité à appréhender une crise tout à fait inédite, et à la surmonter. Or, précisément, le mot "crise" renvoie à un double sens car il désigne à la fois le surgissement violent d’une douleur ou d’une maladie et le moment périlleux de la décision et du jugement. Toute crise incarne donc une opportunité de changement qu’il s’agit de saisir. Et sur ce point au moins, il semble bien que nous soyons tous d’accord : c'est le moment ou jamais. »[1]
Quelle est la cause de cette crise ? Le virus ? Notre vulnérabilité ?
Et toute frustrante qu’elle soit, la première question me semble devoir être : Que se passera-t-il avec le prochain virus ? Car il y en aura un… Pouvons-nous rester exposés comme nous l’avons été aux étapes de la COVID 19 ? La réponse ne peut être que négative. Alors ?
Nassim Nicholas TAIEB dont les analyses sont précieuses nous fournit quelques clés[2] que je vous soumets.
L’auteur du « cygne noir »[3] explique tout d’abord que cette épidémie n’en était pas un :
« Ce virus était prévisible, si on regardait complètement les conséquences de la mondialisation. Mais il n’y a rien à craindre de la globalisation tant que l’on connaît les effets secondaires. Le problème, c’est que les gens regardent les choses sans les effets secondaires, et ce virus, c’est l’effet secondaire de la globalisation. »
Nous savons d’ailleurs que le risque épidémique avait été envisagé par la Défense nationale. Mais nous faisons comme si nous ne le savions pas et essayons de combler les lacunes de notre défaillance collective en tentant de nous convaincre à tort de l’imprévisibilité, du hasard, du cygne noir...
L’histoire nous apprend que les épidémies ont émaillé l’histoire de l’humanité. La modernité n’est pas à l’abri. La preuve !!! La technique ne peut rien contre les virus ; ceux-ci se rient du pouvoir technologique, de l’intelligence artificielle et autres avatars du progrès.
Nous savons aussi que la rapidité de nos échanges et nos interdépendances au niveau mondial nous ont exposé à la facilité de la diffusion du virus en tous points de la planète.
Or un nouveau virus bénéficiera des mêmes conditions, si ce n’est de plus favorables, si nous ne changeons pas notre mode vie interconnecté, interdépendant, ouvert, mondial, sans barrières.
Nassim Nicholas TAIEB poursuit :
« On peut aimer la mondialisation, parce qu’on aime le cosmopolitisme par exemple, ou ne pas l’aimer. Moi je l’aime, mais il faut absolument déterminer d’où les problèmes peuvent venir. Les frontières ouvertes de façon inconditionnelle sont dangereuses. Un mécanisme de prudence veut qu’on ne puisse pas regarder les effets de cette mondialisation sans regarder aussi ses effets secondaires. On doit aller vers plus de localisme, et ça commence par les communes. »
Nous n’avons regardé que les effets positifs de la mondialisation. Telle fut notre erreur. Evidente ! Et nous risquons de la répéter tant nous sommes « accrocs » à notre mode de vie !
Je suis consterné par le fait que cette analyse critique ne soit toujours pas faite alors qu’il y a une urgence sans doute aussi grande de se préoccuper de ces effets secondaires que de soigner et de nous protéger de la COVID 19. Il est vrai qu’elle nous oblige à revoir notre modèle civilisationnel…
Le célèbre linguiste et philosophe Noam Chomsky, figure emblématique de la gauche intellectuelle américaine, estime que la première leçon que l’on peut tirer de cette crise est "que nous sommes confrontés à un autre échec massif et colossal de la version néolibérale du capitalisme. Si nous n’apprenons pas cela, la prochaine fois que quelque chose de similaire se produira, ce sera pire".[4] Le modèle est en cause…
La seule solution me semble être de revenir à ce que Nassim Nicholas TAIEB appelle le « localisme » :
« L’État, s’il fait bien, ça marche, mais sinon, ça concentre les erreurs. La tendance mondiale est de revenir au modèle de la cité-Etat. Cette maladie, le coronavirus, sera peut-être relativement facile à éradiquer, mais la prochaine sera peut-être plus grave. Le système en place doit permettre de lutter efficacement. »
La protection est l’objet d’un « isme » décrié par nos gouvernants et nos élites : le protectionnisme.
Il va falloir en tirer les leçons ; et vite. Ce doit être l’enjeu des années à venir et de leurs débats. Nos élites sont-elles prêtes à revoir ce qui constitue la racine de leur pouvoir ? Car notre État est formaté pour gérer un système ouvert, non protectionniste. Sa structure est déterminée par un cadre institutionnel, économique et juridique envahi par l’idéologie libre-échangiste européenne. L’Europe politique telle qu’elle existe aujourd’hui ne peut pas nous protéger. Elle est un obstacle à cette protection si elle ne renonce pas à son centralisme et son interventionnisme. Elle n’est pertinente que pour fournir les moyens. Elle ne l’est pas pour diriger et fixer les modalités de protection qui relèvent d’un niveau de décision plus proche de nous. Les décisions vont dorénavant devoir être prises par des personnes concernées et impliquées… Place à la subsidiarité, la vraie, pas celle des traités européens et de la Commission de Bruxelles.
Nassim Nicholas TAIEB écrit ailleurs : « À aucun moment de l’histoire, autant de preneurs de non-risques – tous ceux qui ne s’exposent pas personnellement – n’ont exercé une telle emprise ». C’est le thème de son livre « jouer sa peau »[5].
Edgar Morin vient de sortir un livre qui tire les leçons de la crise : "Changeons de voie. Les leçons du coronavirus" (Denoel). Il plaide pour la mise en place d’"une politique qui conjugue mondialisation et démondialisation, croissance et décroissance, développement et enveloppement."[6]
Oui l’heure est à la grande mutation. Le monde d’après que nous devons préparer sans tarder doit l’être en tirant les leçons de cette épidémie afin que : « plus jamais ça » ! Non pas l’épidémie, car elles sont inévitables, mais plus jamais une telle exposition, une pareille fragilité et un aussi grand manque de lucidité sur les risques auxquels nous sommes exposés et sur les mesures à prendre pour se protéger.
Choisir entre l’inconscience de notre folie hédoniste, consumériste, mondialiste et les sacrifices nécessaires pour assurer avec efficacité notre protection collective et individuelle.
En clair, faire des sacrifices pour revivre!
[1] https://mail.google.com/mail/u/0/#inbox?projector=1
[2] https://www.20minutes.fr/economie/2738387-20200313-pandemie-coronavirus-rien-craindre-globalisation-tant-connait-effets-secondaires-affirme-nassim-nicholas-taleb
[3] Le « cygne noir. » est quelque chose que vous n’avez pas envisagé, qui sort de nos modèles, qui est une surprise totale. A posteriori, on se dit que les choses étaient prévisibles. Rétrospectivement mais pas prospectivement. Le « cygne noir » est épistémique, et dépend de l’observateur. Ainsi, le 11-Septembre était un « cygne noir » pour les victimes [qui ne l’ont pas anticipé], pas pour les terroristes [qui l’ont préparé durant des mois]. Il dépend fondamentalement de l’observateur.
[4] https://mail.google.com/mail/u/0/#inbox?projector=1
[5] https://www.contrepoints.org/2018/12/31/312073-jouer-sa-peau-de-nassim-nicholas-taleb
[6] https://mail.google.com/mail/u/0/#inbox?projector=1
Je viens de lire l’essai de Hubert Védrine « Et après ? » qui décrit la façon dont nous (nos dirigeants) sommes restés sourds aux alertes annonçant une pandémie dévastatrice.
RépondreSupprimerComment pourrait-on revenir à «la normale», c’est à dire à la multidépendance, l’insécurité financière, l’irresponsabilité écologique développe~il-il...
Je crois pour ma part que ce n’est pas l’Etat qui est en cause, mais les hommes que nous y avons placés à sa tête. Le Général de Gaulle n’aurait jamais laissé opérer cette dilution de notre souveraineté et de notre soumission à la finance internationale et autres GAFAM. Il n’aurait pas davantage ouvert nos frontières à ce point...
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