dimanche 7 octobre 2018

JUSTICE ET POLITIQUE. (A propos de #meToo et du dernier livre d’Éric Dupont Moretti)


L’hécatombe continue !



Après Weinstein qui n’est pas le modèle de l’idéal masculin que je prônerais, mais n’a toujours pas été jugé, après Depardieu visé par une plainte qui semble avoir fait flop..., c’est maintenant le tour de Brett Cavanaugh le juge conservateur, nommé par Donald Trump à la Cour Suprême au grand damne de Madame Marlène Schiappa, et de Christiano Ronaldo le célèbre footballeur … Tous sont soumis au même traitement ; accusés de viol par une victime émouvante et semblant sincère. Mis au ban avant d’être jugés. Visés par une accusation qui emporte tout sur le passage ouvert derrière #MeToo et « Balancetonporc ». L’opprobre tombe avant le jugement. Le mal est fait dans l’instant, de manière irréversible…. J’ignore si parmi les mis en cause il y a des coupables ; il faut le souhaiter… Mais je ne supporte pas que l’on crée un coupable avant de l’avoir jugé selon les lois et les procédures de notre République. Même l’Eglise, tant stigmatisée pour son inquisition se soumit à des règles de procédure avant de juger et de condamner !

Nous sommes confrontés à une instrumentalisation de la Justice à des fins politiques.

La providence voulut-elle tenter de me réconforter alors que je broyais ainsi du noir ? Même si je ne suis pas toujours d’accord avec lui, elle mit hier sous mes yeux au salon de Mouans Sartoux le dernier livre d’Éric Dupond Moretti dans lequel il revendique le droit d’être libre ; et je l’ai lu sans attendre.

La liberté fait partie de l’ADN de l’avocat. Ce livre d’entretiens est une belle confidence d’un avocat qui assume des défenses extrêmes depuis si longtemps, avec réussite et talent. Nouvelle et belle ode à la défense. J’adhère à son appréhension de la pâte humaine dans ce qu’elle peut avoir de contradictoire, d’excessif, de malin ou de pervers.

Toutefois, mon plaisir fut vite mitigé car notre Démosthène du XXI° siècle, qui reconnait être un bobo de gauche, continue de tenir un discours « libéralo-républicain engagé ». Sa dialectique anti « fachiste » altère son message d’avocat, bien qu’il sache reconnaître le talent de ceux qui l’ont précédé sous la robe tout en étant dit-il des fachos. Il en cite au moins trois Jacques Isorni, Jean-Louis Tixier-Vignancour et Henri René Garaud, tout en en oubliant certains, à commencer par Jacques Trémolet de Villers qui défendit Touvier avec le talent que l’on sait.

Je respecte la coexistence chez le même homme, de l’avocat de talent et de l’homme de gauche, sachant que le premier ne s’interdirait sans doute pas de défendre Brett Cavanaugh quelles que soient les convictions conservatrices de ce dernier…

Mais je suis gêné par le fait qu’au-delà de la revendication du droit d’être libre, Éric Dupont Moretti d’une part fasse de la liberté l’alfa et l’oméga de toute politique et d’autre part lie de manière sentencieuse la justice à la démocratie.
Son discours devient inaudible lorsqu’il prend les habits du philosophe, du sage ou du politologue. Il faut laisser de côté la mousse du plaideur de talent pour analyser la logorrhée du citoyen engagé; ce dernier utilise l’autorité et la notoriété de l’avocat pour légitimer ses digressions sur un autre terrain que le judiciaire…. Regrettable mélange des genres ! Justice et politique n’ont jamais fait bon ménage.

Il n’y a rien de pire que cette manie de certains avocats qui, cédant à la même mode que des chanteurs, des comédiens ou des écrivains, jouent les donneurs de leçons, en grands témoins de leur époque.

Autant ai-je apprécié la pudeur avec laquelle Éric Dupond Moretti a su répondre à une question sur sa foi religieuse, autant je ne peux pas me satisfaire d’une phrase comme celle-ci : « la liberté n’est certainement pas d’interdire au nom de sa propre morale, faute de quoi d’une part on s’étouffe autant qu’on étouffe, d’autre part on stigmatise grossièrement des groupes entiers dans la négation de l’individualité » ; phrase qui embrouille tout, mélange tout et ne veut strictement rien dire si l’on veut bien se donner la peine de la lire et d’y réfléchir… mais qui de façon sentencieuse pourfend la morale, glorifie la liberté, et dénonce la stigmatisation… !

Quant à la démocratie, laissant de côté le gargarisme intellectuel répétitif auquel se livre notre auteur, au-delà des mots, je voudrais qu’il m’explique en quoi, pourquoi et comment la justice dépend de la démocratie !

Pour nous instruire et nous édifier sur ce qu'il maîtrise en vérité, il aurait suffi à Éric Dupond Moretti, de parler de la défense, comme il le fait si bien… Tout le monde n’est pas Cicéron !

Car malgré son énergie et son talent, qui sont immenses, je crains que mon confrère ne soit victime de ses aventureuses et incertaines digressions politiques et philosophiques. Elles faussent son témoignage et son jugement qui pourraient être précieux alors que nous perdons collectivement le fil de la justice et du droit …

Le respect de la présomption d’innocence et des règles du procès par le reste de la société, à commencer par les médias, ne reviendront que si nous serons capables de faire admettre les conditions de l’application du droit en tant qu’il est l’inlassable recherche des conditions d’avènement du juste dans la cité.
Il faut lire et méditer les philosophes, en particulier du droit. Cela permet de prendre conscience du rôle du droit et de la responsabilité des acteurs du monde judiciaire, sans commettre de contre-sens, en pensant droitement.

Il faut lire et écouter les praticiens qui vivent le procès de manière engagée et tirer profit des leçons de leur témoignage comme de leurs critiques.

Chacun doit apporter sa pierre en restant modestement et humblement à sa place.

Alors peut-être serons-nous capables de juger sans faire de politique et inversement.

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