dimanche 14 octobre 2018

PUBLIC OU PRIVE? QUEL ETAT POUR DEMAIN?


La privatisation de l’Etat est à la mode. Certains y voient une planche de salut pour sortir du socialisme plus ou moins larvé de nos sociétés.





Dans son cours au collège de France « la gouvernance par les nombres »  (édité chez Fayard dans la collection "Poids et mesures du monde") Alain Supiot introduit ainsi son chapitre sur le dépérissement de l’État : « le plus puissant facteur de transformation de l’ordre juridique dans un régime de gouvernance par les nombres réside dans l’assujettissement de la chose publique à l’utilité privée ». Phrase prophétique en ce qu’elle était annonciatrice de nos régimes politiques contemporains à l’image de celui que notre président cherche à instaurer en France…

Après que l’État n’ait cessé de grossir en multipliant ses sphères d’intervention nous sommes dorénavant confrontés à la nécessité économique de le « dégraisser ». D’où une confusion ; car on traite de manière équivalente les innombrables interventions étatiques, sociales et économiques, et le domaine régalien où l’État est indispensable et ne doit pas être soumis aux contraintes du privé. C’est ainsi que l’assujettissement de la chose publique à l’utilité privée concerne les domaines régaliens dont la police et la justice. L'institution judiciaire est atteinte par un triple phénomène : 
  • la soumission des juges à des critères de rentabilité, 
  • l’accomplissement des missions dites répétitives par des logiciels d’intelligence artificielle, 
  • et la déjudiciarisation au moyen d’une privatisation des modes de règlement des contentieux.


L’assujettissement du privé au public avait donné dans l’histoire son intelligibilité et sa solidité à la structure juridique. L’inversion moderne que nous évoquons et qu’analyse Alain Supiot procède de la volonté d’ancrer nos lois dans celles de la science ; ce qui est scientifique étant incontestable… Elle fut incarnée par un positivisme qui s’était affranchi de la loi naturelle. Or cette conception a donné naissance à toutes les dérives totalitaires du XX° siècle. Alain Supiot en donne une raison qui semble difficile à contester: « Dans cette perspective scientiste les rapports entre les individus ne sont plus placés sous la dépendance d’un droit public lui-même référait à des choses sacrées : ils sont dictés par la vérité des rapports de force entre races ou entre classes ».

Le gouvernement par les nombres, nouvel avatar de la science et de le technologie numérique peut-il échapper à ce travers et à ses dérives ? Alain Supiot démontre que non, à cause de l’éjection de toute hétéronomie de ce système et du triomphe organisé de l’autonomie, au nom de la conception absolutiste de la liberté. 

Le gouvernement par les nombres donne paradoxalement le jour à un monde dominé par la dépendance des personnes, l’autonomie ouvrant la voie à l’instauration de la loi du plus fort; les puissants parvenant progressivement à tout contractualiser en se soumettant et en soumettant les autres à leur loi et à leur justice. Ceci est déjà le cas des GAFA.... Et Alain Supiot n’hésite pas à affirmer qu’une société privée d’hétéronomie est vouée à la guerre civile !

Nous sommes donc confrontés à la nécessité de retrouver la dimension anthropologique de nos régimes politiques et du droit en tant qu’il est le seul élément objectif susceptible de structurer la vie sociale.

Semper idem!


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