La privatisation de l’Etat
est à la mode. Certains y voient une planche de salut pour sortir du socialisme plus ou moins larvé de nos sociétés.
Dans son cours au collège de
France « la gouvernance par les nombres » (édité chez Fayard dans la collection "Poids et mesures du monde") Alain Supiot introduit ainsi son
chapitre sur le dépérissement de l’État : « le plus puissant facteur de
transformation de l’ordre juridique dans un régime de gouvernance par les nombres
réside dans l’assujettissement de la chose publique à l’utilité privée ».
Phrase prophétique en ce qu’elle était annonciatrice de nos régimes politiques
contemporains à l’image de celui que notre président cherche à instaurer en
France…
Après que l’État n’ait cessé
de grossir en multipliant ses sphères d’intervention nous sommes dorénavant confrontés
à la nécessité économique de le « dégraisser ». D’où une confusion ; car on
traite de manière équivalente les innombrables interventions étatiques, sociales
et économiques, et le domaine régalien où l’État est indispensable et ne doit pas être soumis aux contraintes du privé. C’est ainsi que
l’assujettissement de la chose publique à l’utilité privée concerne les
domaines régaliens dont la police et la justice. L'institution judiciaire est atteinte
par un triple phénomène :
- la soumission des juges à des critères de rentabilité,
- l’accomplissement des missions dites répétitives par des logiciels d’intelligence artificielle,
- et la déjudiciarisation au moyen d’une privatisation des modes de règlement des contentieux.
L’assujettissement du privé
au public avait donné dans l’histoire son intelligibilité et sa solidité à la structure
juridique. L’inversion moderne que nous évoquons et qu’analyse Alain Supiot
procède de la volonté d’ancrer nos lois dans celles de la science ; ce qui
est scientifique étant incontestable… Elle fut incarnée par un positivisme qui
s’était affranchi de la loi naturelle. Or cette conception a donné naissance à
toutes les dérives totalitaires du XX° siècle. Alain Supiot en donne une
raison qui semble difficile à contester: « Dans cette perspective
scientiste les rapports entre les individus ne sont plus placés sous la
dépendance d’un droit public lui-même référait à des choses sacrées : ils sont
dictés par la vérité des rapports de force entre races ou entre classes ».
Le gouvernement par les
nombres, nouvel avatar de la science et de le technologie numérique peut-il échapper à ce travers et à ses dérives ? Alain Supiot démontre que
non, à cause de l’éjection de toute hétéronomie de ce système et du triomphe
organisé de l’autonomie, au nom de la conception absolutiste de la liberté.
Le gouvernement par les
nombres donne paradoxalement le jour à un monde dominé par la dépendance des
personnes, l’autonomie ouvrant la voie à l’instauration de la loi du plus fort; les puissants parvenant progressivement à tout contractualiser en se soumettant et en soumettant les autres à leur loi et à leur justice. Ceci est déjà le cas des GAFA.... Et Alain Supiot n’hésite pas
à affirmer qu’une société privée d’hétéronomie est vouée à la guerre civile !
Nous sommes donc confrontés
à la nécessité de retrouver la dimension anthropologique de nos régimes politiques et du droit en tant qu’il est le seul élément objectif susceptible
de structurer la vie sociale.
Semper idem!
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