Face à ta mémoire oh soldat
inconnu je suis pris de vertige. Incrédule. Perdu. Sans repères. Mon monde n’est
plus le tien. Sommes-nous à l’abri d’une horreur que je nous crois incapables d’assumer,
de subir et de supporter ...
Je suis sidéré par l’élan
qui vous mut, toi et les tiens, derrière vos chefs, pour défier la mort, défendre
votre Nation afin que vos enfants, nous ! , ne connaissent plus la guerre !
La « der des der » disiez-vous ! 21 ans plus tard Hitler
remettait cela…. Vos millions de morts sont d’autant plus effrayants que la première
guerre mondiale fut le fruit de la folie du dérèglement des nationalités en
Europe et qu’elle ne servit à rien. Des millions de morts pour rien….
Et maintenant 100 ans après
où en sommes-nous ? Nous avons changé de paradigme, comme on dit aujourd’hui ! Nous prétendons être sortis de la barbarie que nous refusons. Comment nous
donner tort ? Pour autant notre civilisation a-t-elle progressé ? Notre
prétention n’est-elle pas un rêve ? Toi aussi tu as côtoyé des pacifistes
qui refusaient la guerre…
Notre horizon individuel et
collectif est de vivre bien, sans se poser de questions, en lissant notre
univers de toutes aspérités et de la principale d’entre elles…la dernière, l’ultime,
cette mort que tu as acceptée pour la patrie, pour l’honneur. Nos
préoccupations sont notre pouvoir d’achat, nos loisirs, nos voyages – le monde
est devenu un village ...- nos retraites, notre corps, notre santé. J’ai honte
de cette indécente énumération ….
Dans un « livre-brûlot »,
« La France interdite » - notre époque s’enfonce dans le politiquement
correct à l’américaine car elle a peur des mots et des réalités qu’ils énoncent…-
Laurent Obertone s’interroge : « si nos ancêtres s’étaient donnés pour
toute mission de vivre bien, serions-nous encore là ? » Nous nous
cherchons des raisons de vivre et de ne pas mourir, alors que tu cherchais des
raisons d’accepter la mort !
Tu fus prêt à mourir pour
nous. Que faisons-nous pour nos enfants ? Quels sacrifices sommes-nous
prêts à faire pour eux ? Nos vies ? Non. Notre confort ? Non. La
paix ? Non, à aucun prix !
Nos deux chefs d’Etat, français et allemand, ont dévoilé une plaque sur
laquelle ils ont fait graver : « A
l'occasion du centenaire de l'armistice du 11 novembre 1918, Monsieur Emmanuel
Macron, Président de la République Française, et Madame Angela Merkel,
Chancelière de la République Fédérale d'Allemagne, ont réaffirmé ici la valeur
de la réconciliation franco-allemande au service de l'Europe et de la paix ».
Qu’est-ce que la paix ?
Quelles en sont les conditions ? Comment l’obtenir ? Ces questions hantent mes pensées après entendu le discours du centenaire du Président de la
République, véritable et prégnante ode à la paix….
La paix ne se décrète pas.
Elle se fait. Elle ne s’impose pas. Elle s’obtient. Elle ne se réduit pas à
notre confort. C’est une alchimie politique, culturelle, spirituelle. Elle est
fragile. Si elle est un bien précieux, les circonstances font parfois qu’elle
ne s’obtient que par la guerre …. Terrible et dramatique vérité que nous
renvoie l’histoire… Réalité qui me terrifie tant nous sommes à des années
lumières de ton monde, de ton courage, de ton acceptation de l’histoire, oh mon
frère inconnu.
Nous renonçons à notre
avenir, et à celui des générations futures, pour lâchement préserver notre
présent. Tu fis l’inverse… Notre France est anesthésiée par son désir de vivre
à tout prix, de ne pas mourir, de jouir, de s’épanouir, de se développer. Notre
France est devenue l’antithèse de la tienne. Nous voulons la paix, mais en
oublions les conditions et les exigences… Nous sommes des nains, des traîtres.
Qu’avons-nous fait de notre dette à ton égard, oh mon ami inconnu, toi qui a
peut-être croisé mes grands-pères et leurs frères décimés avec toi? Nous
sommes des débiteurs insolvables. Indignes….
Ce centenaire nous confronte
à notre destin. Tu savais que la vie ne se comprend que par rapport à la mort ;
que le destin c’est la mort, inéluctable. La vie ça s’offre. Tu nous a offert
la tienne. Que faisons-nous de ce legs centenaire, frémissant et glorieux ?
Que transmettrons-nous à nos enfants ?
Tu avais appris que ta vie n'était qu'un maillon d’une chaîne qui lie les générations entre elles pour
permettre la transmission aux générations futures de vraies raisons de vivre et de mourir. Pour notre part nous apprenons une
histoire de confection, de bons sentiments, donneuse de leçons…
Ce centenaire est la
célébration d’un drame. Mais nous le célébrons avec sincérité certes, mais le
drame nous est étranger, nous ne savons pas ce que c’est . Quelle est la
place du drame dans nos vies ? Quelle place sommes-nous prêts à lui
laisser ? Le drame est destin et sacrifice. Or nous ne voulons surtout pas
nous sacrifier. Nous sommes des nains. On ne nous célébrera pas. Nous aimons
trop la paix. Nous aimons trop la vie… Nous n’aimons pas assez notre devoir…
Écoutons Charles Péguy, mort
au combat alors qu’il aurait pu l’éviter :
« Quand il fallut
s’asseoir à la croix des deux routes
Et choisir le regret d’avecque le remords,
Quand il fallut s’asseoir au coin des doubles sorts
Et fixer le regard sur la clef des deux voûtes,
Vous seule vous savez, maîtresse du secret,
Que l’un des deux chemins allait en contre-bas,
Vous connaissez celui que choisirent nos pas,
Comme on choisit un cèdre et le bois d’un coffret.
Et non point par vertu car nous n’en avons guère,
Et non point par devoir car nous ne l’aimons pas,
Mais comme un charpentier s’arme de son compas,
Par besoin de nous mettre au centre de misère,
Et pour bien nous placer dans l’axe de détresse,
Et par ce besoin sourd d’être plus malheureux,
Et d’aller au plus dur et de souffrir plus creux,
Et de prendre le mal dans sa pleine justesse.
Par ce vieux tour de main, par cette même adresse,
Qui ne servira plus à courir le bonheur,
Puissions-nous, ô régente, au moins tenir l’honneur,
Et lui garder lui seul notre pauvre tendresse. »
Et choisir le regret d’avecque le remords,
Quand il fallut s’asseoir au coin des doubles sorts
Et fixer le regard sur la clef des deux voûtes,
Vous seule vous savez, maîtresse du secret,
Que l’un des deux chemins allait en contre-bas,
Vous connaissez celui que choisirent nos pas,
Comme on choisit un cèdre et le bois d’un coffret.
Et non point par vertu car nous n’en avons guère,
Et non point par devoir car nous ne l’aimons pas,
Mais comme un charpentier s’arme de son compas,
Par besoin de nous mettre au centre de misère,
Et pour bien nous placer dans l’axe de détresse,
Et par ce besoin sourd d’être plus malheureux,
Et d’aller au plus dur et de souffrir plus creux,
Et de prendre le mal dans sa pleine justesse.
Par ce vieux tour de main, par cette même adresse,
Qui ne servira plus à courir le bonheur,
Puissions-nous, ô régente, au moins tenir l’honneur,
Et lui garder lui seul notre pauvre tendresse. »
Le devoir est dramatique,
comme le destin, comme l’histoire.
Quand deviendrons-nous des
adultes capables de regarder le destin en face, d’analyser lucidement la
réalité et d’en accepter les exigences ? On nous jugera à l’aune du monde pavé
de nos bonnes intentions, que nous aurons laissé aux générations futures, un
monde affranchi des vraies exigences d’une paix durable…. Nous refusons de voir
les vrais périls qui nous menacent.
Nous aurons vécu pour la
patrie alors que tu es mort pour elle….
Décidément nous sommes des
nains…. Et des nains prétentieux, inconscients….
Ce matin le curé de mon
village m’a fait prier pour toi ; puisses-tu intercéder pour nous, nous en
avons grand besoin….
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