L'homme a soif de justice. Animal social insatisfait et insatiable il est naturellement conscient
de ce qui est bon pour lui, de ce qui est juste et de ce qui est injuste, car il vit selon la justice et subit l’injustice dans sa chair. La crise de la justice sociale que nous vivons le confirme. Le Président de la République vient de
rater l’occasion historique d’y répondre. Pourquoi?
Aristote et Cicéron nous ont
légué une conception du droit comme objet de la justice. La jurisprudence peut être
définie chez les romains à partir d'une connaissance des réalités humaines et divines, une
science du juste et de l'injuste[1]. A l'inverse le droit contemporain fruit du positivisme est l’œuvre du législateur, d’un
pouvoir démocratiquement élu décidant ce qui est bon pour le peuple, ce qui est
juste. La légalité y est réduite au licite. La justice peut-elle s’accommoder d’une conception arbitraire, même définie
démocratiquement, qui ne soit pas ancrée dans la nature humaine et dans ce dont
l’homme a fondamentalement besoin ?
Sous l’effet de la colère et
parfois de la violence, les périodes de crise font surgir l’expression de sentiments
d’injustice que la chape de plomb d’un système avait pu enfouir par exemple sous l’édredon de
la légitimité juridique et de la légalité. C'est ainsi que le mouvement des gilets
jaunes nous renvoie comme un boomerang l’injustice de notre système de justice
sociale. Derrière l’un de ses slogans les plus révélateurs « que faites-vous de
notre pognon ?» se cache une
revendication profonde causée par la dénaturation du système de notre Etat
redistributeur, de l’Etat-providence. Dénaturation provoquée par sa "préemption-privatisation" liée au fait qu'il a été accaparé par des intérêts économiques et financiers internationaux.
Alain Supiot a écrit « la privatisation de l’État-providence ne
conduit pas à faire disparaître les droits sociaux mais en concentrer le
bénéfice sur ceux qui en ont le moins besoin »[2]. Il s'agit selon lui de "l’effet
Mathieu" qui a été formalisé par certains
spécialistes à partir du fameux verset de l’Évangile selon saint Matthieu « Car
on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas
on ôtera même ce qu'il a»[3].
On parle ainsi d’effet Mathieu[4]
pour désigner la capacité des forts à devenir les premiers bénéficiaires des
dispositifs visant à améliorer le sort des faibles.
C’est très exactement ce que
soulignent les gilets jaunes! Le rejet des conséquences de cet effet Mathieu généralisé
est provoqué par l’irrépressible besoin de justice et le refus d’un droit dénaturé
par un positivisme se traduisant par des règles vécues comme injustes et devenues
insupportables.
Comme l’expose Gregor Puppink
notre système de droits de l’homme hérité de la Déclaration de 1948 n’est plus
protecteur[5]. Selon lui deux conceptions se sont opposées :
Sous l’empire de la deuxième conception qui triomphe aujourd’hui nous tombons dans un système conflictuel de droits qui s’opposent, qui sont en concurrence. Dans le droit-fil de cette conception la compétition économique est devenue le but ultime de l’ordre juridique. Quel meilleur exemple en donner, sur les thèmes exprimés par nos gilets jaunes que cet arrêt de la CJCE du 19 juin 2008 lequel elle affirme « que les objectifs de protection de pouvoir d'achat des travailleurs et de paix sociale ne constituent pas un motif d'ordre public de nature à justifier une atteinte à la libre prestation de services » [7]! Voilà qui est de nature à raviver notre flemme européenne!!!
- celle d’un homme qui se conçoit comme un fils, dont les droits sont naturels et déterminés à partir de ses besoins en tant qu’animal social,
- et celle d’un homme qui devenu son propre père exprimant par sa volonté ce dont il a besoin pour en arriver selon la formule de Kundera à des désirs érigés en droit[6].
Sous l’empire de la deuxième conception qui triomphe aujourd’hui nous tombons dans un système conflictuel de droits qui s’opposent, qui sont en concurrence. Dans le droit-fil de cette conception la compétition économique est devenue le but ultime de l’ordre juridique. Quel meilleur exemple en donner, sur les thèmes exprimés par nos gilets jaunes que cet arrêt de la CJCE du 19 juin 2008 lequel elle affirme « que les objectifs de protection de pouvoir d'achat des travailleurs et de paix sociale ne constituent pas un motif d'ordre public de nature à justifier une atteinte à la libre prestation de services » [7]! Voilà qui est de nature à raviver notre flemme européenne!!!
Le droit qui doit garantir au
sein de la société le respect de la justice sociale, et de la justice tout court..., a été préempté par un système concurrentiel, de compétitivité, d'efficacité.
Il a été répondu à Monsieur le Président de la République notamment
par le maire de Saint-Etienne qu'on n’achetait
pas la paix sociale avec 100 € ou avec une réduction de la CSG[8].
Il avait raison. La paix sociale ne peut revenir qu'à la condition de réunir un
peuple autour de son destin. C'est le seul moyen dont dispose le pouvoir pour
retrouver la légitimité. Mais, me direz-vous voilà encore de grands mots, des
principes vagues, rien de concret. Qu'entendez-vous par destin ? Il s’agit
de la juste conception du bien commun à un moment donné de l’histoire permettant à l'ensemble des membres d'un peuple et d'une Nation de trouver leur place,
leur juste place, à travers la politique que l'Etat met en oeuvre.
Ce besoin est
exprimé de manière intuitive par le soutien d'une majorité de la population
française pour ce mouvement, au-delà de ses excès, de ses dérapages et de ses
violences. Le peuple de France attend qu'on lui propose une destinée à travers
une conception de la justice dans laquelle il puisse se retrouver. Il ne veut
plus de règles, de droits confus et illisibles, de taxes et d’impôts sans
contreparties lisibles, fruits d’arbitrages entre puissants qui le dépassent et
l’ignorent ou ne le conçoivent qu’au service d’une politique lointaine et
illisible par lui…
Le Président de la République
avait l'occasion de renverser la table, lui qui s'était soi-disant fait élire
pour cela. En refusant de le faire il confirme qu'en réalité sa prétention
n'était qu'un leurre, une forme de mensonge pieux, destiné à nous abuser sur la
réalité de ses intentions qui ne sont en réalité que de servir les visées d'un
monde lointain, inaccessible à la majorité, concurrentiel, inhumain et injuste.
Le proche avenir le confirmera
très vite.
[2]
Alain Supiot, « L’esprit de Philadelphie », p. 50
[3]
Mathieu 13.12
[4]
http://www.bdsp.ehesp.fr/Base/254417/
[5]
https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/18564/les-droits-de-l-homme-denature
[6]
http://leblogdebernardhawadier.blogspot.com/2018/05/kundera-pierre-manent-les-droits-desirs.html
[7]
CJCE, 19 juin 2008, aff.C-319/06, Commissionc/Grand Duché de Luxembourg § 53
[8]
https://www.rtl.fr/actu/politique/gael-perdriau-est-l-invite-de-rtl-ce-13-decembre-7795907798
Est-ce que le commun des mortels est en mesure de faire connaître, éventuellement par le biais d'un référendum d’initiative populaire, ses besoins d'animal social ? voilà à mon sens la vraie question qui se pose, au-delà des questions d'ordre philosophique.
RépondreSupprimerN'est-il pas malheureusement condamné à faire confiance à ceux qu'il a élus et qui sont censés le "protéger" ?
Mais dès lors, ne se met-il pas en situation d'être manipulé comme le montre notre Histoire, et notamment celle de nos révolutions qui finissent toujours par donner raison aux puissants les plus retors et les plus hypocrites ?
Peut-être que le système le moins nocif serait celui de la Suisse et de ses votations régulières ; mais aussi et surtout de la protection des intérêts des ses nationaux et du refus d'une certaine mondialisation dont on mesure chaque jour la nocivité.
Pour cela il conviendrait que nos dirigeants ouvrent les yeux sur les conséquences de l'ouverture de nos frontières, physiques certes, mais aussi éthiques, juridiques, sociétales, familiales, etc.
A cet effet, nos gouvernants pourraient utilement s'inspirer des principes de commandement des Armées si bien décrits par Pierre de Villiers dans son dernier ouvrage... Mais ceci est une autre histoire
CR
Le problème est celui de la confiance que le peuple doit avoir en ses gouvernants. Elle ne se décrète pas. Les institutions ne suffisent plus quand le fil est rompu. Je maintiens qu'il appartient au chef de proposer un projet qui fasse sens. Il doit montrer où il veut emmener ses concitoyens. Et à ce stade on parle de justice...
RépondreSupprimerCertes Bernard...
RépondreSupprimerCela étant, dans son dernier ouvrage (Destin français, Albin Michel), Eric Zemmmour indique, dans son chapitre consacré au "populicide" de Vendée (page 305), que Soljetnitsyne avait bien compris que le communisme et le capitalisme sont les deux faces d'un même projet matérialiste et nihiliste faisant fi des identités et racines, des croyances et des fois.
Ainsi le contexte à la fois universaliste et individualiste de notre société post-communiste ne me semble guère adapté à l’émergence d'un Chef porteur de projet fédérateur, sauf à changer de paradigme... Peut-être grâce à l'étendard jonquille de nos nouveaux Vendéens ?
CR
C'est très exactement ce développe aussi Supiot dans le livre que je cite. Il faut sortir de cet étau... Je ne pense pas qu'une réforme le puisse
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