dimanche 16 décembre 2018

LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE A MANQUE UNE OCCASION UNIQUE DE "RENVERSER LA TABLE"!


L'homme a soif de justice. Animal social insatisfait et insatiable il est naturellement conscient de ce qui est bon pour lui, de ce qui est juste et de ce qui est injuste, car il vit selon la justice et subit l’injustice dans sa chair. La crise de la justice sociale que nous vivons le confirme. Le Président de la République vient de rater l’occasion historique d’y répondre. Pourquoi?





Aristote et Cicéron nous ont légué une conception du droit comme objet de la justice. La jurisprudence peut être définie chez les romains à partir d'une connaissance des réalités humaines et divines, une science du juste et de l'injuste[1]. A l'inverse le droit contemporain fruit du positivisme est l’œuvre du législateur, d’un pouvoir démocratiquement élu décidant ce qui est bon pour le peuple, ce qui est juste. La légalité y est réduite au licite. La justice peut-elle s’accommoder d’une conception arbitraire, même définie démocratiquement, qui ne soit pas ancrée dans la nature humaine et dans ce dont l’homme a fondamentalement besoin ?

Sous l’effet de la colère et parfois de la violence, les périodes de crise font surgir l’expression de sentiments d’injustice que la chape de plomb d’un système avait pu enfouir par exemple sous l’édredon de la légitimité juridique et de la légalité. C'est ainsi que le mouvement des gilets jaunes nous renvoie comme un boomerang l’injustice de notre système de justice sociale. Derrière l’un de ses slogans les plus révélateurs « que faites-vous de notre pognon ?»  se cache une revendication profonde causée par la dénaturation du système de notre Etat redistributeur, de l’Etat-providence. Dénaturation provoquée par sa "préemption-privatisation" liée au fait qu'il a été accaparé par des intérêts économiques et financiers internationaux.

Alain Supiot a écrit « la privatisation de l’État-providence ne conduit pas à faire disparaître les droits sociaux mais en concentrer le bénéfice sur ceux qui en ont le moins besoin »[2]. Il s'agit selon lui de "l’effet Mathieu" qui a été formalisé par certains spécialistes à partir du fameux verset de l’Évangile selon saint Matthieu « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas on ôtera même ce qu'il a»[3]. On parle ainsi d’effet Mathieu[4] pour désigner la capacité des forts à devenir les premiers bénéficiaires des dispositifs visant à améliorer le sort des faibles.

C’est très exactement ce que soulignent les gilets jaunes! Le rejet des conséquences de cet effet Mathieu généralisé est provoqué par l’irrépressible besoin de justice et le refus d’un droit dénaturé par un positivisme se traduisant par des règles vécues comme injustes et devenues insupportables.

Comme l’expose Gregor Puppink notre système de droits de l’homme hérité de la Déclaration de 1948 n’est plus protecteur[5]. Selon lui deux conceptions se sont opposées : 

  • celle d’un homme qui se conçoit comme un fils, dont les droits sont naturels et déterminés à partir de ses besoins en tant qu’animal social, 
  • et celle d’un homme qui devenu son propre père exprimant par sa volonté ce dont il a besoin pour en arriver selon la formule de Kundera à des désirs érigés en droit[6]


Sous l’empire de la deuxième conception qui triomphe aujourd’hui nous tombons dans un système conflictuel de droits qui s’opposent, qui sont en concurrence. Dans le droit-fil de cette conception la compétition économique est devenue le but ultime de l’ordre juridique. Quel meilleur exemple en donner, sur les thèmes exprimés par nos gilets jaunes que cet arrêt de la CJCE du 19 juin 2008 lequel elle affirme « que les objectifs de protection de pouvoir d'achat des travailleurs et de paix sociale ne constituent pas un motif d'ordre public de nature à justifier une atteinte à la libre prestation de services » [7]! Voilà qui est de nature à raviver notre flemme européenne!!!

Le droit qui doit garantir au sein de la société le respect de la justice sociale, et de la justice tout court..., a été préempté par un système concurrentiel, de compétitivité, d'efficacité.

Il a été répondu à Monsieur le Président de la République notamment par le maire de Saint-Etienne qu'on n’achetait pas la paix sociale avec 100 € ou avec une réduction de la CSG[8]. Il avait raison. La paix sociale ne peut revenir qu'à la condition de réunir un peuple autour de son destin. C'est le seul moyen dont dispose le pouvoir pour retrouver la légitimité. Mais, me direz-vous voilà encore de grands mots, des principes vagues, rien de concret. Qu'entendez-vous par destin ? Il s’agit de la juste conception du bien commun à un moment donné de l’histoire permettant à l'ensemble des membres d'un peuple et d'une Nation de trouver leur place, leur juste place, à travers la politique que l'Etat met en oeuvre. 

Ce besoin est exprimé de manière intuitive par le soutien d'une majorité de la population française pour ce mouvement, au-delà de ses excès, de ses dérapages et de ses violences. Le peuple de France attend qu'on lui propose une destinée à travers une conception de la justice dans laquelle il puisse se retrouver. Il ne veut plus de règles, de droits confus et illisibles, de taxes et d’impôts sans contreparties lisibles, fruits d’arbitrages entre puissants qui le dépassent et l’ignorent ou ne le conçoivent qu’au service d’une politique lointaine et illisible par lui…

Le Président de la République avait l'occasion de renverser la table, lui qui s'était soi-disant fait élire pour cela. En refusant de le faire il confirme qu'en réalité sa prétention n'était qu'un leurre, une forme de mensonge pieux, destiné à nous abuser sur la réalité de ses intentions qui ne sont en réalité que de servir les visées d'un monde lointain, inaccessible à la majorité, concurrentiel, inhumain et injuste.
Et pour revenir à notre sujet quel meilleur illustration trouvé avec cet arrêt de la cour de justice des communautés européennes du 19 juin 2008

Le proche avenir le confirmera très vite.



[1]  Digeste, I, 1, 10
[2] Alain Supiot, « L’esprit de Philadelphie », p. 50
[3] Mathieu 13.12
[4] http://www.bdsp.ehesp.fr/Base/254417/
[5] https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/18564/les-droits-de-l-homme-denature
[6] http://leblogdebernardhawadier.blogspot.com/2018/05/kundera-pierre-manent-les-droits-desirs.html
[7] CJCE, 19 juin 2008, aff.C-319/06, Commissionc/Grand Duché de Luxembourg § 53
[8] https://www.rtl.fr/actu/politique/gael-perdriau-est-l-invite-de-rtl-ce-13-decembre-7795907798

4 commentaires:

  1. Est-ce que le commun des mortels est en mesure de faire connaître, éventuellement par le biais d'un référendum d’initiative populaire, ses besoins d'animal social ? voilà à mon sens la vraie question qui se pose, au-delà des questions d'ordre philosophique.
    N'est-il pas malheureusement condamné à faire confiance à ceux qu'il a élus et qui sont censés le "protéger" ?
    Mais dès lors, ne se met-il pas en situation d'être manipulé comme le montre notre Histoire, et notamment celle de nos révolutions qui finissent toujours par donner raison aux puissants les plus retors et les plus hypocrites ?
    Peut-être que le système le moins nocif serait celui de la Suisse et de ses votations régulières ; mais aussi et surtout de la protection des intérêts des ses nationaux et du refus d'une certaine mondialisation dont on mesure chaque jour la nocivité.
    Pour cela il conviendrait que nos dirigeants ouvrent les yeux sur les conséquences de l'ouverture de nos frontières, physiques certes, mais aussi éthiques, juridiques, sociétales, familiales, etc.
    A cet effet, nos gouvernants pourraient utilement s'inspirer des principes de commandement des Armées si bien décrits par Pierre de Villiers dans son dernier ouvrage... Mais ceci est une autre histoire
    CR

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  2. Le problème est celui de la confiance que le peuple doit avoir en ses gouvernants. Elle ne se décrète pas. Les institutions ne suffisent plus quand le fil est rompu. Je maintiens qu'il appartient au chef de proposer un projet qui fasse sens. Il doit montrer où il veut emmener ses concitoyens. Et à ce stade on parle de justice...

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  3. Certes Bernard...
    Cela étant, dans son dernier ouvrage (Destin français, Albin Michel), Eric Zemmmour indique, dans son chapitre consacré au "populicide" de Vendée (page 305), que Soljetnitsyne avait bien compris que le communisme et le capitalisme sont les deux faces d'un même projet matérialiste et nihiliste faisant fi des identités et racines, des croyances et des fois.
    Ainsi le contexte à la fois universaliste et individualiste de notre société post-communiste ne me semble guère adapté à l’émergence d'un Chef porteur de projet fédérateur, sauf à changer de paradigme... Peut-être grâce à l'étendard jonquille de nos nouveaux Vendéens ?
    CR

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    1. C'est très exactement ce développe aussi Supiot dans le livre que je cite. Il faut sortir de cet étau... Je ne pense pas qu'une réforme le puisse

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