Je viens de lire Sérotonine. Choc attendu ! Il s’agit bien de
la descente aux enfers annoncée, dont rien ne nous est épargné. De ce point de
vue pas de surprise, ce livre n’est pas à mettre entre toutes les mains ;
de quoi justifier l’index….Terrible révélateur!
Aussi dur que lucide ce roman est le portrait saisissant
des dérives de notre époque analysées avec le scalpel sans concessions d’un
écrivain qui lit dans nos pensées autant qu’il voit où nous conduisent les
ornières dans lesquelles nous nous enfonçons aveuglément.
Introspectif, il est écrit
à la première personne, dans un style ambitieux. L’auteur se cache autant qu’il
s’y révèle derrière ses mots, ses phrases longues comme des ondes sans fin
rythmées par une étonnante ponctuation de virgules en nombres infinis. On sent
qu’il se brûle et se consume dans son écriture, qu’il s’y met en péril tout en
essayant de se préserver. Ce personnage est décidément insondable, pétri de
mystère, d’interrogations, de provocations, d’outrances, d’intelligence et de
sensibilité.
Michel Houellebecq est capable
d’écrire des pages magnifiques sur l’amour et quelques lignes plus loin de vous
entraîner dans les détails les plus sordides en même temps que les plus horriblement
techniques sur l’acte sexuel et ses organes. Est-il obsédé par le sexe ?
Veut-il nous montrer que nous le sommes ? Il y a un
significatif déséquilibre dans sa description de ses relations amoureuses. Moins
il y a d’amour plus il y a de sexe. Plus il y a d’amour moins il y a de sexe... L’histoire
de son roman contredit ainsi la thèse qu’il affirme, ou fait affirmer par son personnage…, selon laquelle
le sexe est un point de passage obligé de la relation amoureuse, de sa survie et
de son plein épanouissement.
L'histoire, les histoires qu’il raconte et inspecte,
révèlent exactement le contraire. « J’ai
trahi l’amour » nous dit le personnage du roman. C’est vrai, et très
émouvant…, et c’est cette trahison baignée dans le sexe, l’alcool et la
violence qui l’entraîne au fond de la dépression, parce qu’il a été incapable
de répondre à l’amour de deux de ses partenaires qu’il prend le soin de ne pas
souiller avec ses évocations sexologiques. Et il refuse d’ailleurs la thérapie par
des relations tarifées proposée par son médecin. Il faut lire Michel Houellebecq
en creux. Il faut le chercher dans ce qu’il cache, avec pudeur, aussi paradoxal
que cela puisse paraître.
Et puis, il y a ces pages de
violence absolue ; son analyse pointue, acérée et vraie de la revendication
paysanne et du malaise des agriculteurs. Il nous entraîne au cœur de ce malaise
et nous montre comment il peut tourner au drame, ce qui est source d’enseignements
par rapport aux événements sociaux que nous vivons, les agriculteurs du roman
pouvant être nos gilets jaunes.
Enfin, il y a la fin !
Pleine d’espérance, étonnante, apparemment incohérente avec le personnage et la
spirale de la descente aux enfers de son héros. « Dieu s’occupe de nous en réalité, il pense à nous à chaque instant, et
il nous donne des directives parfois très précises. Ces élans d’amour qui
afflue dans nos poitrines jusqu’à nous souffle, ses illuminations, ses extases,
l’inexplicable si l’on considère notre nature biologique, notre statut de
simples primates, sont des signes extrêmement clairs. Et je comprends, aujourd’hui
le point de vue du Christ, son agacement répété devant l’endurcissement des
cœurs : ils ont tous les signes, ils n’en tiennent pas compte. Est-ce qu’il
faut vraiment, en supplément que je donne ma vie pour ses minables ? Est-ce qu’il
faut vraiment être, à ce point explicite ? ». Du Houellebecq dans le texte…
Voilà un roman de notre
époque, sur notre époque, qui nous renvoie nos us et coutumes, nos désirs, nos
passions, nos dérives comme le boomerang de la modernité détestée par son auteur, avec sa
cruauté, sa malignité, ses excès et en même temps que ses lumières et ses
signes d’espérance, que ce soit dans un visage, un sourire, une expression d’amour.
Au fond, au-delà de cette
danse avec le diable, et en ultime ressenti du modeste lecteur que je fus, ce
roman m’est apparu comme étant écrit par un homme qui abhorre, plus que tout, les
différentes formes du conformisme contemporain et de l’intolérance qui en est
le produit. Neutre, impersonnelle et donneuse de fausses leçons notre société laisse
glisser le personnage de Michel Houellebecq entre ses mains, sans lui offrir de
prises pour le sauver de sa longue et inexorable descente aux enfers…
Cette autopsie sans concessions des dérives de notre époque est à lire, surtout sans
modération en s’immergeant, mais à la condition d’y être préparé, car dans les
griffes de ce « diable » de Michel Houellebecq, le lecteur peut
autant se brûler que le héros…
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