Y a-t-il une politique de La Fontaine ?
Je ne saurais la définir. D’aucuns plus avertis que moi s’y
sont essayés et ont partiellement répondu à cette interrogation, parfois de
manière très savante comme G. Couton, H. Taine ou P. Boutang ; pas
toujours dans le même sens d’ailleurs...
Certes les fables abordent les problèmes de la royauté - son origine, ses droits comme ses devoirs ou encore ses défauts - la politique étrangère, la gloire recherchée par tous et en particulier par les souverains, la politique de conquête de Louis XIV, le comportement général des humains qu’il compara si facilement à celui des animaux. Certes elles nous donnent d’apprécier son anarchisme conservateur, tel que le définit Pierre Bornèque, sa prudence ou encore son opposition au pouvoir qui lui valut de ne pas connaître la gloire à la Cour. Certes mettent-elles en évidence que l’art de gouverner est chose difficile.
Je vous propose d’aborder la question autrement. De
manière moins directe. Comme par « a contrario » …
S’il y a une politique de La Fontaine elle résulte de ses
morales qui ont été décriées par deux auteurs célèbres : Rousseau et
Lamartine.
Rousseau considéra que les fables poussaient les enfants
au vice. Il en prit pour preuve les leçons de cinq fables : le Corbeau et
le Renard « une leçon de la plus basse flatterie », la Cigale et la Fourmi
« une leçon d’inhumanité, la Génisse, la Chèvre et la Brebis en société
avec le Lion « une leçon d’injustice », le Lion et le Moucheron « une
leçon de satire », le Loup et le Chien « une leçon d’indépendance »
voir même « de licence ».
Quelle manière réductrice et au premier degré de lire ces
fables ! Rousseau est de ceux qui font la morale. Il ne sait pas lire au second
degré et trouver le moyen d’en tirer des leçons pour des enfants qu’il
sous-estime. Mais surtout, il révèle sa conception de l’organisation
de la vie en société et sa philosophie politique. Elle est
idéologique. A l'inverse La Fontaine est un pragmatique. Il
décrit, il analyse et il tire des leçons. Rousseau veut construire un monde
parfait avec des femmes et des hommes qu'il croit bons … La Fontaine décrit la femme et l’homme tels qu’ils sont…. Paul Fontempe conclue dans son dictionnaire que Rousseau n’a pas
compris La Fontaine… Je pense qu'il en a refusé le réalisme.
Quant à Lamartine dans la préface de 1849 des Méditations
il est tout aussi sévère « … ces histoires d’animaux qui parlent, qui se
font des leçons, qui se moquent les uns des autres, qui sont égoïstes, railleurs,
avares, sans pitié, sans amitié, plus méchants que nous, me soulèvent le cœur.
Les fables de La Fontaine sont plutôt la philosophie dure, froide et égoïste d’un
vieillard, que la philosophie aimante, généreuse, naïve et bonne d’un enfant :
c’est du fiel ce n’est pas du lait pour les lèvres et pour les cœurs de cet âge
». Il s’agit d’une critique d’un idéaliste comme le souligne Pierre Bornèque
dans son « La Fontaine fabuliste ». Tout aussi optimiste que
Rousseau…
Les deux lectures sévères de ce philosophe des Lumières et de ce romantique révèlent en creux la nature de la politique de La Fontaine, la philosophie politique qui l’anima, une philosophie diamétralement opposée à celle de Rousseau comme de Lamartine ; une philosophie que les critiques violentes de ces derniers nous aident à comprendre.
Notre apologue est chrétien. Bien que lorsqu’il écrivit la
majorité de ses fables il ne fût pas encore converti dans sa vie personnelle il
était animé et imprégné par une réflexion politique chrétienne. En quoi ?
En ce que la vision qu’il proposait à ceux qu’il voulait instruire, en
particulier le Dauphin, était pragmatique et réaliste. Son objet était l’homme
tel qu’il est et non pas tel qu’il devrait être… Cette conception cherche à
gérer la vie de la collectivité afin de donner à chacun les moyens d’y vivre le
mieux, ou le moins mal… possible. Elle ne cherche pas à transformer l’homme ni
le monde, pas plus qu’à apporter le bonheur mais seulement à en créer les
conditions. Elle tend à leur permettre de vivre, simplement. Et pour cela il
est bon d’avoir le sens de l’observation et la capacité de Jean de La Fontaine à
analyser les travers de ses concitoyens.
Une telle conception n’est pas moderne ! Elle est antimoderne…
Les fables de La Fontaine nous apprennent l’école de la
vie. Elles sont un guide politique suffisant pour restaurer le bien commun à
condition de s’affranchir de la prétention constructiviste et de la vision optimiste et idéaliste des "Lumières" qui ne nous apportent que les ténèbres des rêveurs. Elles pourraient aider
nos gouvernants à s’en défaire et leur permettre de retrouver le chemin du seul
art politique qui vaille, du seul art politique susceptible de nous réconcilier
avec le « commun » en ce sens qu’il s’attacherait à préserver le « tout »
des défauts et des errements de l’individuel sans idéalisme ni prétention. On devrait demander à tous les candidats au pouvoir de les apprendre par cœur et de les réciter ... Voilà qui nous donnerait des primaires originales!
A cet exercice Mélenchon ferait des merveilles.
RépondreSupprimerLe problème est qu’à LFI il n’y a pas de primaires…