lundi 16 août 2021

MON ETE AVEC LA FONTAINE:LA PEUR ET LA FORCE DANS LES FABLES

Dans la fable "LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE" déjà évoquée dans ma CHRONIQUE DE LA PANDEMIE INSPIREE DE LA FONTAINE, notre cher apologue souligne la cruauté du pouvoir et sa possible injustice. 

L'injustice est dans toutes les têtes en ce moment....


Les Français auraient-ils peur ?

Le gouvernement de la France utiliserait-il la peur pour rétablir son autorité perdue ?

Ces questions surgissent à propos de la gestion de crise sanitaire, comme de celle de l’insécurité.

Nous savons que l’exercice du pouvoir est lié à la peur. Hobbes a systématisé cela, et bien d’autres après comme avant lui. Il est si aisé de s’en prévaloir pour réduire les libertés et agir. Un peuple terrorisé est tellement plus facile à gouverner !

L’harmonie d’une Nation résulte de l’équilibre que l’Etat est capable de créer entre les libertés individuelles et la nécessité de contraindre au nom d’intérêt général et de la recherche du bien commun. Cela peut aller jusqu’à la guerre; la guerre juste ou légitime. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que notre Président de la République a cru opportun de déclarer que nous étions en guerre au début de la crise sanitaire…

Et un pouvoir peut devenir tyrannique s’il provoque d’excessives et injustifiées restrictions à l’exercice des libertés individuelles. C’est tout le débat que nous avons aujourd’hui à propos du « passe sanitaire » comme de la gestion de la répression à l’égard des délinquants et criminels souvent immigrés et/ou en situation irrégulière qui menacent notre sécurité.

Singulièrement, les deux sujets se rejoignent alors qu’a priori ils n’ont rien à voir… sauf la gestion de la peur par celui qui détient la force.

Toujours guidé par mon choix de m’inspirer de Jean de La Fontaine, je me suis demandé ce que celui-ci pouvait apporter comme « morales » utiles à la réflexion à ce sujet.

Reprenons la motivation de notre apologue : « Je me sers d’animaux pour instruire les hommes. »

Et il s’opposa de manière assez véhémente à la théorie de Descartes pour qui l’animal devait être assimilé à une machine :

« Or vous savez Iris de certaine science,

Que quand la bête penserait,

La bête ne réfléchirait

Sur l’objet, ni sur sa pensée.

Descartes va plus loin, et soutient nettement

Qu’elle ne pense nullement.

Vous n’êtes point embarrassée

De le croire ni moi. »

(DISCOURS A MADAME DE LA SABLIERE)

Et il constata, avec profit puisque ses fables en sont le produit, que :

« L’homme agit et il se comporte,

En mille occasions comme les animaux. »

(DISCOURS A MONSIEUR LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD)

Pour autant, nous ne trouvons aucune philosophie du pouvoir dans les fables. Comme d’habitude, l’auteur manie le paradoxe et nous invite à nous examiner avec lucidité. Rien n’est ni blanc ni noir. Tout est humain ! Trop humain… Et nos amis les bêtes sont des révélateurs significatifs des travers de l'homme.

Dans « LES MEMBRES ET L’ESTOMAC »[i] il souligne la nécessaire solidarité de chaque élément du corps social, ce qui récuse le slogan selon lequel l’homme serait un loup pour l’homme.

Puis dans « LA TETE ET LA QUEUE DU SERPENT »[ii] il affine son analyse ; analyse traduite par Gomberville « il n’y a rien de si fatal à la ruine des Etats et des peuples que de voir la puissance entre les mains de ceux qui ne sont nés que pour obéir »[1]. Voilà qui relativise l’autorité et la légitimité de tous ceux qui prétendent mieux savoir que le chef…

Et qui renvoie à « L’ŒIL DU MAITRE »[iii] dont nous avons besoin ; besoin inassouvi tant nous avons perdu confiance en nos élites.

Telles sont les fables réunies par Pierre Boutang[2] pour montrer qu’elles illustrent le jeu de la force dans nos sociétés humaines. Le nécessaire jeu de la force par le pouvoir.

Nécessaire donc…

A la condition que la force ne devienne pas tyrannique.

Nous savons qu’avec sarcasme et son génie du paradoxe Jean de LA FONTAINE a dénoncé l’usage abusif de la force même lorsqu’il affirma que « la raison du plus fort est toujours la meilleure ». Au point que certains ont pu voir en lui un révolutionnaire avant l'heure. En réalité il était hanté par l’injustice. Et l’utilisation de la peur peut être source d’injustices.

La peur est provoquée par les circonstances et par le fort qui détient le pouvoir. L’usage de la force peut terroriser. Le pouvoir peut donc instaurer, créer un climat de peur.

Dans LE LIÈVRE ET LES GRENOUILLES[iv] la morale est qu’ « Il n’est, je le vois bien, si poltron sur la terre/Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi. » La peur est partout, chez tout un chacun, y compris là où ne l’imagine pas ; au point d’ailleurs, l’histoire le montre, que les plus violents sont parfois des poltrons qui se cachent…. D’où le fait que la peur peut facilement changer de camp !

Quant à l’usage de la peur et les bénéfices que l’on peut en tirer, ils sont grands pour celui qui détient la force… L’apeuré est prêt à se jeter dans les bras du premier protecteur venu… Illustration pleine d’humour avec LE MARI, LA FEMME, ET LE VOLEUR[v]. Dans les bras de qui pourrions-nous nous jeter?

Pour conclure, je ne vous propose aucune leçon directe sur l’actualité. Cependant, libre à vous d’y réfléchir et de méditer les événements à la lumière de ces leçons de la vie qui jettent autant de coups de projecteur permettant de décrypter le délire qui est en train de nous envahir et de nous submerger de manière par ailleurs au combien dérisoire quand on regarde le monde que ce soit à Haïti ou à Kaboul…..!

 

 

 

 

 

 



[1] Cf LA PLEIADE œuvres complètes de LA FONTAINE T1, p. 1185 - Note 4 sous « page 282 » ;

[2] https://www.amazon.fr/Fontaine-politique-Pierre-Boutang/dp/2862970581



[i] LES MEMBRES ET L'ESTOMAC

 

        Je devais par la royauté

        Avoir commencé mon ouvrage :

        À la voir d'un certain côté,

        Messer Gaster en est l'image.

S'il a quelque besoin, tout le corps s'en ressent.

De travailler pour lui les Membres se lassant,

Chacun d'eux résolut de vivre en gentilhomme,

Sans rien faire, alléguant l'exemple de Gaster.

Il faudrait, disaient-ils, sans nous, qu'il vécût d'air.

Nous suons, nous peinons, comme bêtes de somme ;

Et pour qui ? Pour lui seul, nous n'en profitons pas ;

Notre soin n'aboutit qu'à fournir ses repas.

Chommons, c'est un métier qu'il veut nous faire apprendre.

Ainsi dit, ainsi fait. Les Mains cessent de prendre,

    Les Bras d'agir, les Jambes de marcher.

Tous dirent à Gaster qu'il en allât chercher.

Ce leur fut une erreur dont ils se repentirent.

Bientôt les pauvres gens tombèrent en langueur ;

Il ne se forma plus de nouveau sang au coeur :

Chaque Membre en souffrit : les forces se perdirent ;

        Par ce moyen, les Mutins virent

Que celui qu'ils croyaient oisif et paresseux,

A l'intérêt commun contribuait plus qu'eux.

Ceci peut s'appliquer à la grandeur royale :

Elle reçoit et donne, et la chose est égale.

Tout travaille pour elle, et réciproquement

        Tout tire d'elle l'aliment.

Elle fait subsister l'Artisan de ses peines,

Enrichit le Marchand, gage le Magistrat,

Maintient (5) le Laboureur, donne paye au Soldat,

Distribue en cent lieues ses grâces souveraines ;

        Entretient seule tout l'Etat.

        Ménénius le sut bien dire.

La Commune (6) s'allait séparer du Sénat :

Les mécontents disaient qu'il avait tout l'empire,

Le pouvoir, les trésors, l'honneur, la dignité ;

Au lieu que tout le mal était de leur côté,

Les tributs, les impôts, les fatigues de guerre.

Le peuple hors des murs était déjà posté.

La plupart s'en allaient chercher une autre terre,

        Quand Ménénius leur fit voir

        Qu'ils étaient aux Membres semblables,

Et par cet apologue, insigne entre les fables,

        Les ramena dans leur devoir.

 

[ii] LA TETE ET LA QUEUE DU SERPENT

 

            Le Serpent a deux parties

            Du genre humain ennemies,

            Tête et Queue ; et toutes deux

            Ont acquis un nom fameux

            Auprès des Parques cruelles :

            Si bien qu'autrefois entre elles

            Il survint de grands débats

                         Pour le pas.

La Tête avait toujours marché devant la Queue.

            La Queue au Ciel se plaignit,

                         Et lui dit :

            Je fais mainte et mainte lieue,

            Comme il plaît à celle-ci.

Croit-elle que toujours j'en veuille user ainsi ?

            Je suis son humble servante.

            On m'a faite, Dieu merci,

            Sa soeur, et non sa suivante.

            Toutes deux de même sang,

            Traitez-nous de même sorte :

            Aussi bien qu'elle je porte

            Un poison prompt et puissant.

            Enfin voilà ma requête :

            C'est à vous de commander,

            Qu'on me laisse précéder

            A mon tour ma soeur la Tête.

            Je la conduirai si bien,

            Qu'on ne se plaindra de rien.

Le Ciel eut pour ces voeux une bonté cruelle.

Souvent sa complaisance a de méchants effets.

Il devrait être sourd aux aveugles souhaits.

Il ne le fut pas lors : et la guide nouvelle,

             Qui ne voyait au grand jour

             Pas plus clair que dans un four,

             Donnait tantôt contre un marbre,

             Contre un passant, contre un arbre.

Droit aux ondes du Styx elle mena sa soeur.

Malheureux les Etats tombés dans son erreur.

 

[iii]  L'OEIL DU MAITRE

 

Un Cerf, s'étant sauvé dans une étable à Boeufs,

            Fut d'abord averti par eux :

            Qu'il cherchât un meilleur asile.

Mes frères, leur dit-il, ne me décelez pas :

Je vous enseignerai les pâtis (1) les plus gras ;

Ce service vous peut quelque jour être utile ;

            Et vous n'en aurez point regret.

Les Boeufs à toutes fins promirent le secret.

Il se cache en un coin, respire, et prend courage.

Sur le soir on apporte herbe fraîche et fourrage,

            Comme l'on faisait tous les jours :

        L'on va, l'on vient ; les Valets font cent tours,

        L'Intendant même et pas un, d'aventure (2),

            N'aperçut ni corps, ni ramures,

        Ni Cerf enfin. L'habitant des forêts

Rend déjà grâce aux Boeufs, attend dans cette étable

Que chacun retournant au travail de Cérès (3),

Il trouve pour sortir un moment favorable.

L'un des Boeufs ruminant lui dit : Cela va bien ;

Mais quoi l'homme aux cent yeux (4) n'a pas fait sa revue.

            Je crains fort pour toi sa venue ;

Jusque-là, pauvre cerf, ne te vante de rien.

Là-dessus le Maître entre et vient faire sa ronde.

             Qu'est ceci? dit-il à son monde.

Je trouve bien peu d'herbe en tous ces râteliers ;

Cette litière est vieille : allez vite aux greniers ;

Je veux voir désormais vos Bêtes mieux soignées.

Que coûte-t-il d'ôter toutes ces Araignées ?

Ne saurait-on ranger ces jougs et ces colliers ?

En regardant à tout, il voit une autre tête

Que celles qu'il voyait d'ordinaire en ce lieu.

Le Cerf est reconnu : chacun prend un épieu (5) ;

            Chacun donne un coup à la Bête.

Ses larmes ne sauraient la sauver du trépas.

On l'emporte, on la sale, on en fait maint repas,

            Dont maint voisin s'éjouit (6) d'être.

Phèdre, sur ce sujet, dit fort élégamment :

            Il n'est, pour voir, que l'oeil du Maître.

Quant à moi, j'y mettrais encor l'oeil de l'Amant.

 

[iv] LE LIÈVRE ET LES GRENOUILLES

 

Un Lièvre en son gîte songeait

(Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?) ;

Dans un profond ennui ce Lièvre se plongeait :

Cet animal est triste, et la crainte le ronge.

         " Les gens de naturel peureux

         Sont, disait-il, bien malheureux.

Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite.

Jamais un plaisir pur ; toujours assauts divers.

Voilà comme je vis : cette crainte maudite

M’empêche de dormir, sinon les yeux ouverts.

Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.

         Et la peur se corrige-t-elle ?

        Je crois même qu’en bonne foi

         Les hommes ont peur comme moi. "

         Ainsi raisonnait notre Lièvre,

         Et cependant faisait le guet.

         Il était douteux, inquiet ;

Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre.

         Le mélancolique animal,

         En rêvant à cette matière,

Entend un léger bruit : ce lui fut un signal

         Pour s’enfuir devers sa tanière.

Il s’en alla passer sur le bord d’un étang :

Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes ;

Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.

         " Oh ! dit-il, j’en fais faire autant

         Qu’on m’en fait faire ! Ma présence

Effraie aussi les gens, je mets l’alarme au camp !

         Et d’où me vient cette vaillance ?

Comment ? Des animaux qui tremblent devant moi !

         Je suis donc un foudre de guerre ?

Il n’est, je le vois bien, si poltron sur la terre,

Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi. "

 

[v] LE MARI, LA FEMME, ET LE VOLEUR

 

               Un Mari fort amoureux,

               Fort amoureux de sa Femme,

Bien qu'il fût jouissant, se croyait malheureux.

          Jamais œillade de la Dame,

          Propos flatteur et gracieux,

          Mot d'amitié, ni doux sourire,

          Déifiant le pauvre Sire,

N'avaient fait soupçonner qu'il fût vraiment chéri.

          Je le crois, c'était un mari.

          Il ne tint point à l'hyménée

          Que content de sa destinée

          Il n'en remerciât les Dieux ;

          Mais quoi ? Si l'amour n'assaisonne

          Les plaisirs que l'hymen nous donne,

          Je ne vois pas qu'on en soit mieux.

Notre épouse étant donc de la sorte bâtie,

Et n'ayant caressé son Mari de sa vie,

Il en faisait sa plainte une nuit. Un Voleur

          Interrompit la doléance.

          La pauvre femme eut si grand’peur

          Qu'elle chercha quelque assurance

          Entre les bras de son Époux.

Ami Voleur, dit-il, sans toi ce bien si doux

Me serait inconnu. Prends donc en récompense

Tout ce qui peut chez nous être à ta bienséance ;

Prends le logis aussi. Les voleurs ne sont pas

          Gens honteux, ni fort délicats :

Celui-ci fit sa main. J'infère de ce conte

          Que la plus forte passion

C'est la peur : elle fait vaincre l'aversion,

Et l'amour quelquefois ; quelquefois il la dompte ;

          J'en ai pour preuve cet amant

Qui brûla sa maison pour embrasser sa Dame,

          L'emportant à travers la flamme.

          J'aime assez cet emportement ;

Le conte m'en a plu toujours infiniment :

          Il est bien d'une âme Espagnole,

          Et plus grande encore que folle.

 

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