Je suis allé à Auschwitz et Birkenau.
Comment en parler ? Puis-je en parler ? Suis-je légitime
pour en parler ?
Ces questions sans réponse auraient peut-être dû m'arrêter dans
l'écriture de ce billet. Pour autant, je ne pense pas pouvoir laisser "CELA" sous
silence. Comment ne pas faire écho à cette découverte physique de l'horreur de l'extermination programmée et organisée ?
Je me contenterai de vous livrer quelques-unes de mes
impressions.
Cette approche de l'horreur programmée m'a fait mesurer
ce qu'elle a réellement d'inimaginable. S'approcher d’Auschwitz et de Birkenau c'est
mesurer à quel point il est humainement impossible d'imaginer ce qui s'y passa ...
Car cette programmation de la destruction de l'humain dans l'humain a quelque
chose d’inenvisageable en même temps que d’inacceptable et d’insupportable. Déshumaniser
!... Avilir !... Déchoir !... Enlever toute dignité à des êtres humains !...
Les conduire à la mort en les humiliant !... Et pire encore, au nom de leur
race... J’ai vu. Plus je voyais, plus ma gorge se serrait. Ces tas de cheveux
coupés, de valises, et… de chaussures, de chaussures d’enfants… Bouleversant. Plus je
voyais, moins je comprenais. Plus je découvrais les baraques, les paillasses sur
lesquelles les nazis entassaient les déportés, les lieux de tortures, le mur de
la mort, le quai du « tri » avec ces photos d'un SS faisant le signe qui
condamnait à mort – un simple geste du doigt pour condamner à mort sans le lui dire une mère et ses enfants- les restes
des chambres à gaz, les tas de boites de Zyklon-B, les fours crématoires….Plus je
voyais plus mon esprit semblait refuser d’imaginer… comme s'il avait voulu enfouir cette réalité qui éclatait sous ses yeux ...
J'ai aussi lu des témoignages. J'en ai écouté ; notamment
celui de Simone Veil. Elle dit, et cela semble quasiment unanime, que l'on ne
pouvait pas survivre aux camps de la mort si l'on était bon. Preuve
supplémentaire de ce que les tortionnaires avaient pour objectif de détruire
l'humain dans l'humain. De tout faire pour ne laisser subsister que la bête
dans l'homme... Une exception remarquable toutefois, exceptionnelle, celle de Saint
Maximilien Kolbe qui est parvenu à remporter une victoire sur les tortionnaires
nazis. Il a sauvé une vie... en offrant la sienne ; à l'image du Christ. « Père
ils ne savent pas ce qu'ils font ... ». L'amour pouvait triompher mais à quel prix!...
Alors bien sûr, je me suis dit comme tout le monde « plus
jamais ça » ! Mais, cela me semble un peu court, insuffisant. Il faut se
demander comment l'humanité en est arrivée là. Cette humanité qui pendant le
même siècle a aussi organisé la destruction massive de dizaines de millions de
soviétiques et le génocide d'une partie colossale du peuple cambodgien. Il faut
débusquer les fondements de ces idéologies mortifères, inhumaines, scandaleuses,
intolérables attribuant à la race, à la classe sociale un rôle destructeur de l'humanité. D'où viennent-elles ? Et là je ne peux m'empêcher de me poser
cette question cruciale : comment expliquer que notre époque qui n'a eu de
cesse de donner au monde des leçons de liberté, d'égalité, de fraternité, de
morale, de progrès, de souci de l'avenir de l'humanité, soit en même temps
celle qui, après le génocide vendéen, aura été la première à compter en son sein des "élites" (?) capables de programmer la mort de millions et de millions des leurs au
nom d'une conception de la race, au nom d'une idéologie, au nom de la négation
de l’humain ? ... "La liberté ou la mort"!...
J'ai retrouvé cette phrase de Stephan Zweig dans « le monde d'hier » : « nous qui
avons appris dans le siècle nouveau à ne plus nous laisser étonner par aucune
explosion de la bestialité collective, nous qui attendons de chaque jour qui se
lève des infamies pires encore que celles de la veille, nous sommes nettement
plus sceptiques quant à la possibilité d'une éducation morale des hommes ».
Faut-il être aussi négatif ? Peut-être pas… mais à
la condition de combattre le mal à sa racine.
Nos idéaux sont trompeurs. Le XX° siècle et les mouvements qui l’ont précédé ont libéré des idées et des concepts devenus fous. Ils les ont libérés de leur ancrage dans la réalité ainsi que de la vérité sur l’homme. Les hommes en ont fait le mal absolu. Du rêve entretenu ils ont fait le lit du pire...Ils ont rendu possible ce qu’ensuite l’attirance pour le mal, la volonté de faire le mal, de dominer, de transformer, le goût de la violence, ont fait surgir comme un cauchemar dans ce qui devait être le printemps des lumières… Car toutes ces idéologies ont ceci de commun qu’elles ont promis des lendemains qui chantaient.
Et d’ailleurs pour revenir aux nazis:
Le slogan « Arbeit macht frei » ne contenait-il pas le mensonge d’une libération qui n’était que la mort et l’extermination ?
et... au moment de les placer dans leurs chambres à gaz les nazis ne
promettaient-ils pas cyniquement à leurs victimes innocentes qu’ils allaient les
laver et les purifier?...
Je ne commenterai pas ce tableau qui me glace autant que toi Bernard…
RépondreSupprimerJe peux moi aussi témoigner de ce que personne ne sort indemne de cette visite… une
visite pèlerinage que tous les jeunes gens Juifs d'Israël font une fois dans le cadre de leur cursus de formation (m’a dit un général israélien de mes amis), une visite qui, même virtuelle, hérisse le poil du lecteur de « si c’est un homme » de Primo Levi, œuvre dont la lecture devrait être recommandée à nos adolescents…
Bien à toi.
CR
J'ai eu moi aussi l'occasion de visiter ces lieux maudits et j'en garde le même effroi que vous, plus de 30 ans après! Je suis bien d'accord avec vous lorsque vous notez que tout cela est inimaginable. Et ça l'est. Mais c'est justement là l'obstacle majeur au "plus jamais ça". A force de ne pas pouvoir l'imaginer, on en vient à ne pas le croire possible, ce qui rend extrêmement difficile de "débusquer les fondements de ces idéologies". Au moment de la sortie du film "la chute", une polémique avait commencé car Hitler était présenté comme "trop humain", ce qui déplaisait à beaucoup. Un commentateur juif dont j'ai oublié le nom avait alors remarqué qu'à force de présenter Hitler comme un démon inhumain, ses actions devenaient en quelque sorte non reproductibles, ce qui était un danger mortel...
RépondreSupprimerHannah Arendt a très bien décrit le phénomène de la banalité du mal dans "les origines du totalitarisme", ainsi, tout comme Soljenytsine, que l’acquiescement d'une grande partie des hommes à ces idées, par bêtise, ignorance, mais le plus souvent (et nous n'aimons pas l'entendre) par goût du confort et de la paix. De fait, combattre le mensonge et débusquer le mal conduit assez souvent à l'échafaud. Tout cela me parait être d'une brulante actualité pourtant, au moment où l'on discrimine une partie de la population sur des critères de "santé", c'est à dire des critères qu'on voudrait objectifs mais qui sont finalement assez subjectifs (comme hier, la race ou la classe sociale). Car qui fixe les limites de la race ou de la classe sociale? De même, qu'est-ce-qu'être en bonne santé? Où est la frontière de la maladie quand certains naissent avec des pathologies lourdes, mais vivent parfois très vieux? Nos gouvernants ne nous font-ils pas aussi de belles promesses de "libération" par le vaccin (comme hier Arbeit macht frei)? Aujourd'hui nous avons pourtant nos Arendt et nos Soljenitsyne. Espérons qu'ils seront davantage écoutés que leurs illustres prédécesseurs, ou alors cela voudrait dire que nous n'avons tiré aucune leçon...