dimanche 26 mars 2023

ON NE VOIT PLUS LA MEME REALITE

Il y a quelque chose qui continue de ne pas tourner rond. Mon obsession est d’essayer de comprendre pourquoi et j’ai bien du mal…


Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui nous en arrivons à ce niveau d’incompréhension, d’incapacité d’échanger, au point que les manifestations se traduisent inévitablement par des affrontements de plus en plus violents ? Indépendamment du jeu pervers des parties révolutionnaires qui sont à l’œuvre et qui n’ont pas oublié leur rêve du grand soir, il y a autre chose qui se trame.

Qu’est-ce donc ?

L’esprit qui toujours nie ?

Non, nous avons dépassé ce stade.

Les lectures médiatiques récentes que j’ai faites et les émissions que j’ai écoutées m’ont fait noter deux phrases.

La première est de Raphaël Enthoven dans un débat avec Mgr Rougé sur le débat relatif à la fin de vie : « dans le choix entre la liberté et la vie, choisir la vie me paraît mortifère » ; la vie mortifère !

La deuxième dans la bouche d’Edwy Plenel chez Alain Finkielkraut lors de l’émission réplique : « au nom de l’égalité, je choisis le genre humain plutôt que la nation » (ce n’est pas la citation exacte mais c’est le sens de ce qui a été dit).

Quel rapport entre les deux ?

L’idéologie.

Edwy Plenel fait pourtant référence à Hannah Arendt pour qui le débat n’est réellement possible que s’il s’organise autour des vérités de fait. Il cite également Charles Péguy dans la dédicace à la république universelle de sa Jeanne d’Arc, ce Péguy dont j’ai déjà, comme bien d’autres, abondamment cité : « Il faut toujours dire ce que l'on voit ; surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l'on voit ».

Il est étonnant de voir Edwy Plenel et Alain Finkielkraut débattre de manière très vive, et cela est un euphémisme…, alors qu’ils partagent la même passion pour Charles Péguy et semblent l’un et l’autre adhérer à cette citation.

Est-ce à dire que précisément l’appel d’Hannah Arendt est aujourd’hui lettre morte ? Car si Edwy Plenel insiste lourdement pour dire à son interlocuteur qu’il refuse de voir ce qu’il lui montre - ces réalités qu’il prétend mettre sous ses yeux lui le soi-disant « vigilant » (c’est le thème de son dernier livre sur lequel il avait été invité) - Alain Finkielkraut lui démontre immédiatement en réplique que lui aussi refuse précisément de voir ce qu’il lui montre.

Ainsi, chacun est-il aveuglé par la certitude qu’il a de voir ce qu’il voit alors que l’autre semble sincèrement ne pas le voir... car je veux encore accorder à chacun le crédit de la sincérité de son propos. Ce qui est précisément le comble de l’incompréhension, de l’impossibilité de dialoguer, d’échanger comme nous y invite Hannah Arendt.

Sans doute faut-il savoir mettre des mots sur les choses. Sans doute est-il indispensable avec Albert Camus de savoir qualifier : « mal nommer les choses c’est ajouté au malheur du monde ».

Force est de constater que nous ne savons plus les nommer, les identifier, les qualifier, les regarder ensemble de manières à déterminer conjointement, après un dialogue constructif, les solutions concrètes qui peuvent être apportées aux problèmes auxquels nous somment confrontés. Nous invoquons tous le bien commun mais nous sommes incapables de le construire à partir de choses concrètes.

Dans cet univers déconnecté de toute vérité, de toute humilité, mettant face-à-face des egos absolutisés, quelle place peut-il rester pour le consensus, la concession, l’ouverture à l’autre ?

N’est-il pas par ailleurs ahurissant, dans un tout autre ordre d’idées, de lire sous la plume de Raphaël Einthoven qui se prétend philosophe et divulgateur de philosophie, que choisir la vie puisse être mortifère au prétexte que ce soit au profit de la liberté ? Mais qu’est-ce donc que la liberté sans la vie ? Comment le choix de la vie peut-il être mortifère ? Comment peut-on écrire une pareille monstruosité alors que l’on est intelligent et cultivé ?

Nous utilisons des mots dont nous refusons de partager le sens avec les autres. Nos dialogues sont totalement artificiels, déconnectés de la réalité. Chacun ne voit plus midi qu’à sa porte. Chacun habille sa vision du monde avec des mots dont il fixe seul et unilatéralement le sens. Nous avons dépassé le stade de la novlangue inventée par Georges Orwell. Nous sommes en absurdie.

Quand on ne se comprend plus, on n’a plus d’autre solution que la violence pour défendre son point de vue et bien évidemment pour essayer de l’imposer. Et ce d’autant plus qu’un phénomène nouveau accompagne la crise que nous traversons : les médias qui jouent le rôle de caisse de résonance en donnant à chaque incident une importance démultipliée et en fournissant ainsi à l’ego des parties prenantes de multiples occasions de croire qu’elles sont entendues, écoutées, suivies, reconnues. (Je n’évoquerai pas la malhonnêteté intellectuelle des chaînes d’information continue qui inconsciemment ou non jouent un rôle délétère, destructeur de notre cadre de vie en société, en se faisant le relais de cette idée selon laquelle les manifestants ont toujours raison et les forces de l’ordre toujours tort).

Ainsi, l’engrenage dans lequel nous sommes entraînés semble-t-il irréversible.

Au risque de vous surprendre je vous dirai que cela ne me rend pas pessimiste. Il est vrai que je sors du cinéma où je suis allé voir le film sur les chemins noirs, leçon de courage, d’espoir et d’intelligence.

Le réel a une force incontestable. Il finit toujours par s’imposer aux hommes. Un jour ou l’autre le réel les rappelle à lui. Comment ? Sera-ce la guerre ? La révolution ? La famine ? La récession ? La faillite nationale ? Ou encore autre chose… Je l’ignore mais ce que je sais c’est qu’un jour viendra, après l’aboutissement de ce qui est en cours et que nous avons du mal à comprendre et à identifier, où par nécessité nous serons de nouveau capables de prendre la réalité en compte et de répondre à nos besoins concrets, en commun et non plus caste contre caste, syndicats contre syndicats, chapelles contre chapelles, croyants contre incroyants, riches contre pauvres, entrepreneurs contre salariés, nationaux contre immigrés, racistes contre antiracistes, féministes contre anti féministes, LGBT contre hétérosexuels, etc.…

J’ignore dans quel état nous serons à ce moment-là, mais peu importe.

N’oublions pas que Rome a survécu à la chute de l’empire romain et l’occident avec elle, qu’après la révolution il y a eu le consulat, qu’après la guerre de 14-18 et celle de 39-45 il y a eu les 30 glorieuses etc.

L’histoire n’est qu’un éternel recommencement quoi que l’on ait pu nous dire depuis quelques décennies.

Veillons donc et scrutons à l’horizon du temps ce moment où il sera à nouveau possible de parler ensemble des choses, de les regarder en étant certains de voir la même chose et de considérer l’autre non pas comme un ennemi à abattre mais comme un partenaire fut-ce un partenaire avec lequel nous serons en désaccord.

Sachons garder la mémoire de ce qui dure et de ce qui traverse le vicissitudes du temps.

1 commentaire:

  1. La citation de Raphaël Enthoven m'a immédiatement fait penser à la réflexion fameuse -et combien de fois entendue- de Dostoïevski:
    "Si l’on me prouvait que le Christ est hors de la vérité et qu’il fût réel que la vérité soit hors du Christ, je voudrais plutôt rester avec le Christ qu’avec la vérité”.
    Mais la différence majeure est que le premier n'a pas attendu de preuves pour énoncer sa formule que je résumerais ainsi: "la liberté au prix de la vie". Tandis que le second, tant qu'on ne lui aura pas prouvé l'inverse, s'en tient fermement à l'identité de la vérité (et certainement de la Vérité) avec le Christ.
    Grâce à sa conviction intime, Dostoïevski n'entre pas dans l'impasse dans laquelle Raphaël Enthoven se fourvoie.

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