samedi 27 septembre 2025

SARKOZY EN PRISON. VIOLATION DE L'ETAT DE DROIT?

L’affaire Sarkozy est-elle l’illustration d’une dérive du “pouvoir judiciaire” ? Faut-il y voir comme l’affirme ce dernier, toujours présumé innocent, une atteinte gravissime à notre état de droit ?



Un jugement marqué par l’idéologie

Le jugement rendu contre Nicolas Sarkozy par le tribunal correctionnel de Paris restera dans les annales. Non seulement pour la sévérité de la peine, mais surtout pour l’impression qui s’en dégage : celle d’une justice caractérisée par une forme de croisade plus que par une application équilibrée du droit.

Il suffit d’observer un fait : le tribunal a dû relaxer l’ancien président des trois principaux chefs d’accusation. Il n’avait pas le choix : les preuves faisaient défaut. Mais plutôt que de conclure à une relaxe d’ensemble, il s’est emparé d’un quatrième chef – l’association de malfaiteurs – souvent perçue par les juristes comme un “fourre-tout”, permettant de condamner quand on ne peut pas le faire sur un autre fondement. L’association de malfaiteurs est pensée pour intervenir avant la commission d’un crime ou d’un délit puni d’au moins 5 ans (art. 450-1 CP, révisé en 2025). Elle réprime la préparation “caractérisée par un ou plusieurs faits matériels” au sein d’un groupement/entente — même si l’infraction finale n’a jamais été commise. Les pénalistes y voient une “infraction-obstacle” ou une infraction « chewing gum »...

Il n’est pas aberrant qu’un ancien président puisse être condamné, car nul n’est au-dessus des lois. Nicolas Sarkozy n’est peut-être pas de manière générale exempt de reproches ; sa personnalité est clivante. Mais après l’ahurissante condamnation par suite d’écoutes illégales et violant le secret professionnel le voilà condamné dans un procès dont la première pièce est un faux aux termes du jugement qui vient d’être rendu ! Cela fait quand même beaucoup pour un homme qui n’est quand même pas un délinquant de grande envergure ou un bandit comme le laisserait à penser certains attendus du dernier jugement qui va l’envoyer derrière les barreaux !

Les choses sont claires ; pour les juges parisiens Nicolas Sarkozy devait être condamné, coûte que coûte. Pourquoi ? A l’évidence parce qu’entre l’ancien président et la magistrature, le contentieux est ancien et profond et parce qu’il incarne une ligne politique en rupture avec l’idéologie qui règne au sein de la magistrature.

Un vieux contentieux personnel et idéologique entre Sarkozy et les juges

Nicolas Sarkozy n’a jamais caché sa défiance à l’égard des juges. Ses critiques répétées, ses volontés de réforme, et surtout son orientation sécuritaire l’ont placé en opposition frontale avec une magistrature marquée idéologiquement à gauche.

On se souvient du fameux “mur des cons”, révélateur d’un climat délétère. On connaît aussi le poids du Syndicat de la magistrature, très influent à l’École nationale de la magistrature, et qui n’a jamais dissimulé son hostilité à Nicolas Sarkozy et à sa vision répressive de la politique pénale.

Dès lors, la lourdeur de la sanction, l’exécution provisoire ordonnée et même le mandat de dépôt différé prennent leur véritable couleur : celle d’un règlement de comptes. Il fallait que Sarkozy paye – non seulement pour des faits précis - mais pour l’ensemble de son action politique passée.

Et il est inquiétant qu’en même temps les Français dénoncent à juste titre le laxisme des juges face à la délinquance de la rue, à celle qui s’attaque aux policiers ou encore les risques que font peser les OQTF sur leur sécurité. Nos juges sont dans leur logique oxymorique mais conforme à l’idéologie qui infeste leur corps depuis 1968. Deux poids deux mesures. Tous les justiciables ne sont pas égaux devant les juges dans la justice française en 2025.

Le symptôme d’une crise de l’État

Ce jugement révèle la tendance d’une justice à la moralisation face à un pouvoir exécutif déficient et contesté ; en crise. Faible, contesté, miné par la défiance des citoyens, il laisse un vide. Et ce vide, les juges s’empressent de le combler. Ils deviennent, en quelque sorte, les redresseurs de torts que l’opinion réclame, les arbitres d’une moralité publique, dans le cadre de ce que parmi tant d’autres Emmanuel Todd n’hésite pas à qualifier de chute finale de l’occident.

Mais en agissant ainsi, ils outrepassent leur mission. Ils s’immiscent dans ce qui est l’objet de la politique. Ils exercent un pouvoir, alors qu’ils ne sont détenteurs que d’une autorité. Le cas Sarkozy illustre le bras de fer entre juges et exécutif dont les poursuites à l’égard d’Éric Dupont-Moretti furent une autre illustration.

 

Le double mouvement : juges contre exécutif, juges contre législatif

Il y a une seconde dérive ; celle des juges qui s’opposent au pouvoir législatif que l’on doit signaler ici même si elle dépasse le cas de notre affaire. Cela fait maintenant des années qu’au nom de principes supérieurs extensibles (droits fondamentaux, non-discrimination, proportionnalité), le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État, la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour européenne des droits de l’homme n’hésitent plus à censurer la loi, à la réécrire, à lui substituer leur propre vision.

Au fond, qu’il s’agisse de juges judiciaires ou de juges constitutionnels et européens, le mouvement est le même : une volonté de contrôle des deux pouvoirs constitutionnels, exécutif et législatif, au nom d’une idéologie concurrente, la même dans les deux cas.

Quand les juges font de la politique

Nul ne conteste la nécessité d’une justice forte, impartiale et indépendante. Mais dès lors qu’elle exerce une mission politique, elle franchit une ligne rouge. Le président de la cour d’appel de Paris ne doit dans ces conditions pas s’étonner des attaques dont les juges ayant rendu ce jugement sont l’objet même si de tels dérapages sont inadmissibles.

C’est à ce stade de l’analyse que doit se poser la question de l’état de droit et du rôle de la justice dans nos institutions.

Nicolas Sarkozy peut poser la question du respect de l’état de droit dès lors qu’il pense être victime d’un détournement du droit perpétré de telle manière qu’il est privé de celui d’exercer les voies de recours réservées à tout justiciable.

Allons plus loin cet état de droit dénaturé ne s’oppose-t-il pas aux droits des justiciables en même temps qu’à ceux de l’Etat ?....

Autrement dit, derrière le paravent de l’État de droit, les juges peuvent être tentés d’imposer leur vision du monde, en s’appuyant sur des principes abstraits — droits de l’homme, non-discrimination, dignité, proportionnalité. Les uns refont et corrigent la loi. Les autres appliquent la loi en fonction de leurs échelles de valeur.

La justice ne se contente plus de garantir la liberté : elle n’en fait qu’à sa tête tout en prétendant dicter la marche du gouvernement tandis que les juridictions constitutionnelles et internationales corrigent et corsètent le législateur.

Rappels historiques : une tentation récurrente

Il n’y a en réalité rien de très nouveau dans cette nouvelle passe d’arme.

  • Sous l’Ancien Régime, les Parlements entrèrent en conflit avec Louis XIV, puis avec Louis XVI, cherchant à se poser en contre-pouvoir.
  • Au XXe siècle, Philippe Pétain fut condamné pour haute trahison en 1945 dans un contexte idéologique et politique particulièrement troublé.
  • Jacques Chirac en 2011 le fut pour détournement de fonds ; Nicolas Sarkozy le rejoint pour la troisième fois.
  • D’autres figures politiques ont été sanctionnées : Alain Juppé, François Fillon condamné par un tribunal présidé par le même magistrat dont on apprend par ailleurs qu’elle aurait manifesté contre Nicolas Sarkozy …
  • Marine Le Pen victime de l’exécution provisoire.
  • À l’étranger, les exemples abondent : Fujimori au Pérou, Moshe Katsav en Israël, Park Geun-hye en Corée du Sud, Cristina Kirchner en Argentine.

Ces affaires confirment que la justiciabilité des dirigeants est un acquis légitime. Mais elles en démontrent aussi le danger : dès que la justice franchit la frontière entre application du droit commun et jugement politique, elle devient instrument détourné de pouvoir.

Ces événements passés montrent que personne ne doit s’estimer au-dessus des lois mais que l’exercice de la mission de rendre la justice n’est jamais à l’abri des instrumentalisations en tous genres, surtout en période troublée et de crise. La question est posée de savoir jusqu’où nos juges iront si ce mouvement n’est pas arrêté par une restauration du politique et une remise à sa place de leur imperium ; celui qui veut qu’ils n’aient pas de comptes à rendre sur leurs décisions. A cet égard c’est une fausse bonne idée que de vouloir remettre en cause ce principe sans lequel la justice ne peut pas être rendue de manière indépendante.

Un fois qu’on a dit cela il est nécessaire d’essayer de remettre de l’ordre dans la maison....

Leçons de Rome et de la philosophie du droit

A Rome : le préteur (Iurisdictio) fixait le cadre, le Iudex tranchait le litige. Le juge n’était jamais souverain, mais délégué. Cicéron rappelait que la justice sert la salus publica et applique la loi : elle n’est pas gouvernement. Il est la bouche de la loi ; formule qui fut reprise par Montesquieu.

Pour Michel Villey, un de nos plus grands philosophes du droit, le droit n’est pas une volonté fabriquée, son objet est la justice. Le juge ne crée pas la norme, il la révèle dans le concret. Il est bien la bouche de la loi. Sa mission est d’autorité, non de pouvoir.

L’autorité, pas le pouvoir

En France, la Constitution est claire : il n’existe pas de pouvoir judiciaire. Il n’y a qu’une autorité judiciaire (articles 64 à 66). Les juges tirent leur légitimité de l’État, c’est-à-dire de la volonté générale exprimée par le législateur et appliquée par l’exécutif. Les constitutionnalistes français (Vedel, Carcassonne, Troper) et le constituant de 1958 sous l’impulsion de de Gaulle et de M Debré évitèrent soigneusement d’ériger un « pouvoir judiciaire ». L’article 66 confie à l’autorité judiciaire une mission essentielle — la protection de la liberté individuelle — mais toujours dans un cadre politique défini.

Leur fonction est de dire le droit dans les cas particuliers, de protéger la liberté individuelle, pas de gouverner. Dès lors qu’ils se perçoivent comme un pouvoir concurrent, ils menacent la séparation des pouvoirs et fragilisent l’État de droit.

Le lien entre le pouvoir exécutif et l’autorité judiciaire.

Laissons de côté la question des juges constitutionnalistes ou européens même si le sujet est essentiel. L’affaire Sarkozy ne concerne que les juges judiciaires.

Quels doivent être les liens entre le pouvoir exécutif et les juges judiciaires du parquet et du siège ?

Ceux du parquet d’abord qui poursuivent les infractions et les présumés coupables. Nous avons commis une erreur regrettable dont l’attitude du parquet national financier est l’illustration caricaturale. C’est l’Etat qui poursuit en tant qu’il est responsable de l’ordre public ; il doit être maître de l’action publique. L’indépendance absolue du parquet est un danger. Non, les juges du parquet ne doivent pas avoir le pouvoir de poursuivre comme ils l’entendent ! Il s’agit d’une prérogative régalienne. C’est au ministre de la Justice d’exercer cette responsabilité. Entendons-nous bien ; ceci doit s’accompagner d’un renforcement réel des prérogatives procédurales des parties au procès, victimes comme présumés coupables. Ces dernières doivent pouvoir disposer des moyens de faire contrôler par les juges du siège la conduite de l’action publique afin que celle-ci soit transparente et respectueuse des principes comme de tous les droits de la défense ; ce qui n’est singulièrement pas le cas dans notre procédure pénale qui n’est à l’inverse plus qu’un champ de bataille formaliste souvent aberrant ainsi que certaines remises en liberté consécutives à des erreurs non substantielles en sont l’illustration. Une refonte complète s’impose.

Les juges du siège maintenant. Ils doivent être indépendants. Mais cette indépendance doit s’exercer dans un cadre défini par le pouvoir politique. Question délicate s’il en est puisque nous voyons dans le cas de Nicolas Sarkozy qu’elle peut ouvrir à des erreurs graves et qu’à l’inverse il ne faut à aucun prix que les juges, autorité indépendante, soient aux ordres du pouvoir exécutif. C’est ici que se pose la question de la loi qui leur donne des pouvoirs anormaux ouvrant précisément à ces abus ; je veux notamment et par exemple parler de cette exécution provisoire qui permet à des juges faillibles de punir en privant des justiciables de leurs droits les plus élémentaires. Nicolas Sarkozy devrait pouvoir faire appel sans que sa présomption d’innocence soit foulée aux pieds par un tribunal de première instance. Il doit pouvoir se défendre normalement ; ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Ce n’est pas tout. Par ses règlements et les lois qu’il soumet au pouvoir législatif le pouvoir exécutif doit conduire une politique judiciaire conforme au bien commun de manière à donner les moyens aux juges de rendre une bonne justice. Oui il faut de bonnes lois pour avoir de bons juges, de bonnes « bouches de la loi » ! Il faut ensuite que le pouvoir exécutif administre le corps des magistrats de telle manière que de pareils abus aient le moins de chances possibles de se produire. A cet égard il y a deux réformes à entreprendre de toute urgence, sachant que la perfection ne sera jamais atteinte. La première concerne la formation donnée à l’école de la magistrature dont il n’est pas normal qu’elle ait en grande partie été abandonnée à des idéologues infestés par des principes contraires à ce qu’est la justice. La deuxième, encore plus nécessaire, est l’interdiction des syndicats politisés. S’il est normal que les magistrats puissent adhérer à des syndicats professionnels afin de défendre leurs droits, il est anormal que ces syndicats s’immiscent dans la définition de la politique judiciaire qui relève de la responsabilité du pouvoir exécutif et qu’ils fassent de la politique. Ainsi Nicolas Sarkozy n’aurait jamais figuré sur le mur des cons et la présidente du tribunal qui l’a jugé n’aurait pas manifesté contre lui.

Conclusion : remettre de l’ordre dans la maison

L’affaire Sarkozy n’est pas qu’un épisode judiciaire. Elle illustre un déséquilibre inquiétant : la magistrature se conçoit de plus en plus comme pouvoir moral et politique, alors qu’elle n’est instituée que comme autorité.

La justice doit protéger les libertés tout en sanctionnant les fauteurs de troubles à l’ordre public, elle ne doit pas exercer la souveraineté.

Il est temps de restaurer l’autorité du politique, de recentrer le juge sur son office, et de rappeler que rendre la justice n’est pas gouverner. Faute de quoi, c’est l’équilibre même de nos institutions — et donc notre démocratie — qui vacillera, si ce n’est déjà fait.

 

1 commentaire:

  1. Mitterand avait peut-être (vraisemblablement ? Probablement ? Sûrement ?) raison en disant que si les juges avaient eu la peau de la Monarchie, ils auraient aussi celle de la République…

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