L’affaire Sarkozy est-elle l’illustration d’une dérive du “pouvoir judiciaire” ? Faut-il y voir comme l’affirme ce dernier, toujours présumé innocent, une atteinte gravissime à notre état de droit ?
Un jugement
marqué par l’idéologie
Le jugement rendu contre Nicolas Sarkozy par le
tribunal correctionnel de Paris restera dans les annales. Non seulement pour la
sévérité de la peine, mais surtout pour l’impression qui s’en dégage : celle
d’une justice caractérisée par une forme de croisade plus que par une application
équilibrée du droit.
Il suffit d’observer un fait : le tribunal a dû
relaxer l’ancien président des trois principaux chefs d’accusation. Il n’avait
pas le choix : les preuves faisaient défaut. Mais plutôt que de conclure à une
relaxe d’ensemble, il s’est emparé d’un quatrième chef – l’association de
malfaiteurs – souvent perçue par les juristes comme un “fourre-tout”,
permettant de condamner quand on ne peut pas le faire sur un autre fondement. L’association de malfaiteurs est pensée pour intervenir avant la commission
d’un crime ou d’un délit puni d’au moins 5 ans (art. 450-1 CP, révisé en 2025).
Elle réprime la préparation “caractérisée par un ou plusieurs faits matériels”
au sein d’un groupement/entente — même si l’infraction finale n’a jamais été
commise. Les pénalistes y voient une “infraction-obstacle” ou une infraction « chewing
gum »...
Il n’est pas aberrant qu’un ancien président puisse
être condamné, car nul n’est au-dessus des lois. Nicolas Sarkozy n’est
peut-être pas de manière générale exempt de reproches ; sa personnalité est
clivante. Mais après l’ahurissante condamnation par suite d’écoutes illégales
et violant le secret professionnel le voilà condamné dans un procès dont la
première pièce est un faux aux termes du jugement qui vient d’être rendu ! Cela
fait quand même beaucoup pour un homme qui n’est quand même pas un délinquant
de grande envergure ou un bandit comme le laisserait à penser certains attendus
du dernier jugement qui va l’envoyer derrière les barreaux !
Les choses sont claires ; pour les juges
parisiens Nicolas Sarkozy devait être condamné, coûte que coûte. Pourquoi ? A l’évidence
parce qu’entre l’ancien président et la magistrature, le contentieux est ancien
et profond et parce qu’il incarne une ligne politique en rupture avec l’idéologie
qui règne au sein de la magistrature.
Un vieux
contentieux personnel et idéologique entre Sarkozy et les juges
Nicolas Sarkozy n’a jamais caché sa défiance à l’égard
des juges. Ses critiques répétées, ses volontés de réforme, et surtout son
orientation sécuritaire l’ont placé en opposition frontale avec une
magistrature marquée idéologiquement à gauche.
On se souvient du fameux “mur des cons”, révélateur
d’un climat délétère. On connaît aussi le poids du Syndicat de la magistrature,
très influent à l’École nationale de la magistrature, et qui n’a jamais
dissimulé son hostilité à Nicolas Sarkozy et à sa vision répressive de la
politique pénale.
Dès lors, la lourdeur de la sanction, l’exécution
provisoire ordonnée et même le mandat de dépôt différé prennent leur véritable couleur
: celle d’un règlement de comptes. Il fallait que Sarkozy paye – non seulement
pour des faits précis - mais pour l’ensemble de son action politique passée.
Et il est inquiétant qu’en même temps les Français
dénoncent à juste titre le laxisme des juges face à la délinquance de la rue, à
celle qui s’attaque aux policiers ou encore les risques que font peser les OQTF
sur leur sécurité. Nos juges sont dans leur logique oxymorique mais conforme à
l’idéologie qui infeste leur corps depuis 1968. Deux poids deux mesures. Tous
les justiciables ne sont pas égaux devant les juges dans la justice française
en 2025.
Le symptôme
d’une crise de l’État
Ce jugement révèle la tendance d’une justice à la moralisation
face à un pouvoir exécutif déficient et contesté ; en crise. Faible,
contesté, miné par la défiance des citoyens, il laisse un vide. Et ce vide, les
juges s’empressent de le combler. Ils deviennent, en quelque sorte, les redresseurs
de torts que l’opinion réclame, les arbitres d’une moralité publique, dans le
cadre de ce que parmi tant d’autres Emmanuel Todd n’hésite pas à qualifier de
chute finale de l’occident.
Mais en agissant ainsi, ils outrepassent leur mission.
Ils s’immiscent dans ce qui est l’objet de la politique. Ils exercent un pouvoir,
alors qu’ils ne sont détenteurs que d’une autorité. Le cas Sarkozy illustre le
bras de fer entre juges et exécutif dont les poursuites à l’égard d’Éric Dupont-Moretti
furent une autre illustration.
Le double
mouvement : juges contre exécutif, juges contre législatif
Il y a une seconde dérive ; celle des juges qui
s’opposent au pouvoir législatif que l’on doit signaler ici même si elle dépasse
le cas de notre affaire. Cela fait maintenant des années qu’au nom de principes
supérieurs extensibles (droits fondamentaux, non-discrimination,
proportionnalité), le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État, la Cour de
justice de l’Union européenne, la Cour européenne des droits de l’homme n’hésitent
plus à censurer la loi, à la réécrire, à lui substituer leur propre vision.
Au fond, qu’il s’agisse de juges judiciaires ou de
juges constitutionnels et européens, le mouvement est le même : une volonté de
contrôle des deux pouvoirs constitutionnels, exécutif et législatif, au nom
d’une idéologie concurrente, la même dans les deux cas.
Quand les juges
font de la politique
Nul ne conteste la nécessité d’une justice forte,
impartiale et indépendante. Mais dès lors qu’elle exerce une mission politique,
elle franchit une ligne rouge. Le président de la cour d’appel de Paris ne doit
dans ces conditions pas s’étonner des attaques dont les juges ayant rendu ce jugement
sont l’objet même si de tels dérapages sont inadmissibles.
C’est à ce stade de l’analyse que doit se poser la
question de l’état de droit et du rôle de la justice dans nos institutions.
Nicolas Sarkozy peut poser la question du respect de l’état
de droit dès lors qu’il pense être victime d’un détournement du droit perpétré
de telle manière qu’il est privé de celui d’exercer les voies de recours
réservées à tout justiciable.
Allons plus loin cet état de droit dénaturé ne s’oppose-t-il
pas aux droits des justiciables en même temps qu’à ceux de l’Etat ?....
Autrement dit, derrière le paravent de l’État de
droit, les juges peuvent être tentés d’imposer leur vision du monde, en
s’appuyant sur des principes abstraits — droits de l’homme, non-discrimination,
dignité, proportionnalité. Les uns refont et corrigent la loi. Les autres
appliquent la loi en fonction de leurs échelles de valeur.
La justice ne se contente plus de garantir la liberté
: elle n’en fait qu’à sa tête tout en prétendant dicter la marche du
gouvernement tandis que les juridictions constitutionnelles et internationales
corrigent et corsètent le législateur.
Rappels
historiques : une tentation récurrente
Il n’y a en réalité rien de très nouveau dans cette nouvelle
passe d’arme.
- Sous l’Ancien Régime, les Parlements entrèrent en conflit avec Louis
XIV, puis avec Louis XVI, cherchant à se poser en contre-pouvoir.
- Au XXe siècle, Philippe Pétain fut condamné pour haute trahison en
1945 dans un contexte idéologique et politique particulièrement troublé.
- Jacques Chirac en 2011 le fut pour détournement de fonds ; Nicolas
Sarkozy le rejoint pour la troisième fois.
- D’autres figures politiques ont été sanctionnées : Alain Juppé, François
Fillon condamné par un tribunal présidé par le même magistrat dont on apprend
par ailleurs qu’elle aurait manifesté contre Nicolas Sarkozy …
- Marine Le Pen victime de l’exécution provisoire.
- À l’étranger, les exemples abondent : Fujimori au Pérou, Moshe Katsav
en Israël, Park Geun-hye en Corée du Sud, Cristina Kirchner en Argentine.
Ces affaires confirment que la justiciabilité des
dirigeants est un acquis légitime. Mais elles en démontrent aussi le danger :
dès que la justice franchit la frontière entre application du droit commun et jugement
politique, elle devient instrument détourné de pouvoir.
Ces événements passés montrent que personne ne doit
s’estimer au-dessus des lois mais que l’exercice de la mission de rendre la
justice n’est jamais à l’abri des instrumentalisations en tous genres, surtout
en période troublée et de crise. La question est posée de savoir jusqu’où nos
juges iront si ce mouvement n’est pas arrêté par une restauration du politique
et une remise à sa place de leur imperium ; celui qui veut qu’ils n’aient pas
de comptes à rendre sur leurs décisions. A cet égard c’est une fausse bonne
idée que de vouloir remettre en cause ce principe sans lequel la justice ne
peut pas être rendue de manière indépendante.
Un fois qu’on a dit cela il est nécessaire d’essayer
de remettre de l’ordre dans la maison....
Leçons de Rome
et de la philosophie du droit
A Rome : le préteur (Iurisdictio) fixait le cadre, le Iudex
tranchait le litige. Le juge n’était jamais souverain, mais délégué. Cicéron
rappelait que la justice sert la salus publica et applique la loi : elle n’est
pas gouvernement. Il est la bouche de la loi ; formule qui fut reprise par
Montesquieu.
Pour Michel Villey, un de nos plus grands philosophes
du droit, le droit n’est pas une volonté fabriquée, son objet est la justice.
Le juge ne crée pas la norme, il la révèle dans le concret. Il est bien la bouche
de la loi. Sa mission est d’autorité, non de pouvoir.
L’autorité, pas
le pouvoir
En France, la Constitution est claire : il n’existe
pas de pouvoir judiciaire. Il n’y a qu’une autorité judiciaire (articles 64 à
66). Les juges tirent leur légitimité de l’État, c’est-à-dire de la volonté
générale exprimée par le législateur et appliquée par l’exécutif. Les constitutionnalistes français (Vedel, Carcassonne, Troper) et le
constituant de 1958 sous l’impulsion de de Gaulle et de M Debré évitèrent
soigneusement d’ériger un « pouvoir judiciaire ». L’article 66 confie à
l’autorité judiciaire une mission essentielle — la protection de la liberté
individuelle — mais toujours dans un cadre politique défini.
Leur fonction est de dire le droit dans les cas
particuliers, de protéger la liberté individuelle, pas de gouverner. Dès lors
qu’ils se perçoivent comme un pouvoir concurrent, ils menacent la séparation
des pouvoirs et fragilisent l’État de droit.
Le lien entre le pouvoir exécutif et l’autorité
judiciaire.
Laissons de côté la question des juges constitutionnalistes
ou européens même si le sujet est essentiel. L’affaire Sarkozy ne concerne que
les juges judiciaires.
Quels doivent être les liens entre le pouvoir exécutif
et les juges judiciaires du parquet et du siège ?
Ceux du parquet d’abord qui poursuivent les infractions
et les présumés coupables. Nous avons commis une erreur regrettable dont l’attitude
du parquet national financier est l’illustration caricaturale. C’est l’Etat qui
poursuit en tant qu’il est responsable de l’ordre public ; il doit être
maître de l’action publique. L’indépendance absolue du parquet est un danger. Non,
les juges du parquet ne doivent pas avoir le pouvoir de poursuivre comme ils l’entendent !
Il s’agit d’une prérogative régalienne. C’est au ministre de la Justice d’exercer
cette responsabilité. Entendons-nous bien ; ceci doit s’accompagner d’un
renforcement réel des prérogatives procédurales des parties au procès, victimes
comme présumés coupables. Ces dernières doivent pouvoir disposer des moyens de
faire contrôler par les juges du siège la conduite de l’action publique afin que
celle-ci soit transparente et respectueuse des principes comme de tous les droits
de la défense ; ce qui n’est singulièrement pas le cas dans notre
procédure pénale qui n’est à l’inverse plus qu’un champ de bataille formaliste
souvent aberrant ainsi que certaines remises en liberté consécutives à des
erreurs non substantielles en sont l’illustration. Une refonte complète s’impose.
Les juges du siège maintenant. Ils doivent être
indépendants. Mais cette indépendance doit s’exercer dans un cadre défini par
le pouvoir politique. Question délicate s’il en est puisque nous voyons dans le
cas de Nicolas Sarkozy qu’elle peut ouvrir à des erreurs graves et qu’à l’inverse
il ne faut à aucun prix que les juges, autorité indépendante, soient aux ordres
du pouvoir exécutif. C’est ici que se pose la question de la loi qui leur donne
des pouvoirs anormaux ouvrant précisément à ces abus ; je veux notamment et
par exemple parler de cette exécution provisoire qui permet à des juges faillibles
de punir en privant des justiciables de leurs droits les plus élémentaires. Nicolas
Sarkozy devrait pouvoir faire appel sans que sa présomption d’innocence soit foulée
aux pieds par un tribunal de première instance. Il doit pouvoir se défendre
normalement ; ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Ce n’est pas tout. Par ses règlements et les lois qu’il
soumet au pouvoir législatif le pouvoir exécutif doit conduire une politique
judiciaire conforme au bien commun de manière à donner les moyens aux juges de
rendre une bonne justice. Oui il faut de bonnes lois pour avoir de bons
juges, de bonnes « bouches de la loi » ! Il faut ensuite que le
pouvoir exécutif administre le corps des magistrats de telle manière que de
pareils abus aient le moins de chances possibles de se produire. A cet égard il
y a deux réformes à entreprendre de toute urgence, sachant que la perfection ne
sera jamais atteinte. La première concerne la formation donnée à l’école de la
magistrature dont il n’est pas normal qu’elle ait en grande partie été
abandonnée à des idéologues infestés par des principes contraires à ce qu’est
la justice. La deuxième, encore plus nécessaire, est l’interdiction des
syndicats politisés. S’il est normal que les magistrats puissent adhérer à des
syndicats professionnels afin de défendre leurs droits, il est anormal que ces syndicats
s’immiscent dans la définition de la politique judiciaire qui relève de la
responsabilité du pouvoir exécutif et qu’ils fassent de la politique. Ainsi
Nicolas Sarkozy n’aurait jamais figuré sur le mur des cons et la présidente du
tribunal qui l’a jugé n’aurait pas manifesté contre lui.
Conclusion :
remettre de l’ordre dans la maison
L’affaire Sarkozy n’est pas qu’un épisode judiciaire.
Elle illustre un déséquilibre inquiétant : la magistrature se conçoit de plus
en plus comme pouvoir moral et politique, alors qu’elle n’est instituée que
comme autorité.
La justice doit protéger les libertés tout en
sanctionnant les fauteurs de troubles à l’ordre public, elle ne doit pas exercer
la souveraineté.
Il est temps de restaurer l’autorité du politique, de
recentrer le juge sur son office, et de rappeler que rendre la justice n’est
pas gouverner. Faute de quoi, c’est l’équilibre même de nos institutions — et
donc notre démocratie — qui vacillera, si ce n’est déjà fait.
Mitterand avait peut-être (vraisemblablement ? Probablement ? Sûrement ?) raison en disant que si les juges avaient eu la peau de la Monarchie, ils auraient aussi celle de la République…
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